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Mathieu Kassovitz. © Kenzo Tribouillard/AFP

Malotru est-il impliqué dans l’accident de moto de Mathieu Kassovitz ?

Martin Legros publié le 05 septembre 2023 4 min

« Et si Guillaume Debailly, alias Malotru dans la série d’Éric Rochant Le Bureau des légendes, était partie prenante de l’accident de moto dont a été victime l’acteur Mathieu Kassovitz ce dimanche ? Une hypothèse étrange qui touche à ce qu’on appelle pompeusement “l’ontologie des personnages de fiction”.

En apprenant que Mathieu Kassovitz venait de faire une sortie de route sur l’autodrome de Linas-Montlhéry (Essonne), où il s’entraînait pour un prochain rôle, j’ai eu une réaction bizarre dont je me suis senti un peu coupable. J’aime depuis longtemps l’acteur qui a réinventé le film à suspense en donnant du rythme et de la profondeur à ses rôles et en choisissant des intrigues bien effrayantes. J’ai de l’estime pour le réalisateur de La Haine (1995), qui est parvenu à exprimer la vérité de la violence urbaine sans tomber dans la démagogie. Et même les sorties complotistes, mais sincères, du citoyen sur le 11-Septembre attestent à mes yeux d’un rapport à l’histoire contemporaine avec lequel il faut dorénavant compter.

Et pourtant, en apprenant son accident, ses fractures multiples, son transport à l’hôpital où il a été placé dans un coma artificiel, c’est à son personnage de Malotru dans la série Le Bureau des légendes que j’ai pensé. J’ai vu l’espion capable de prendre tous les risques, d’endurer la souffrance de la torture, et même de trahir les siens pour sauver son grand amour, Nadia El-Mansour (Zineb Triki), qu’il a connue au Moyen-Orient et qu’il a failli perdre. Et derrière son visage, j’ai vu défiler ses différentes “légendes” – c’est ainsi que l’on appelle dans les services secrets les personnages fictifs que les agents doivent faire exister dans leurs missions. Comme si le fantôme de Malotru était venu mordre la réalité et qu’accompagné de ses doubles – Guillaume Debailly, Paul Lefebvre, Pavel Lebedev – il avait pris la place de son interprète, sur cette moto. C’est lui que j’ai imaginé sortir de la route, c’est pour lui que j’ai ressenti de la peur et de la pitié, autant sinon davantage que pour l’être de chair et de sang, le seul véritable, qui a prêté son corps à ces personnages… mais que je ne connais pas. Est-ce un manque d’empathie ? Une confusion entre le réel et l’imaginaire ? Une faute morale ?

Plutôt que de réprimer cette pensée trouble, j’ai décidé de la prendre un instant au sérieux. Se pourrait-il que Malotru ait bien été impliqué dans cet accident ? À quel titre ? Avec quelles conséquences ? Et je me suis plongé pour cela dans les débats, vifs et nombreux, qui agitent la philosophie anglo-saxonne sur ce qu’on appelle l’ontologie des personnages de fiction, une discipline qui cherche à déterminer le degré de réalité et le mode d’existence des êtres qui peuplent nos fictions (voir l’exposé très clair de ces discussions sur les sites fabula.org et l’Encyclopédie philosophique). Une des questions centrales porte sur la “frontière ontologique” entre les entités fictives et les entités réelles du monde.

D’un côté, les ségrégationnistes, comme John Searle, affirment qu’il est très facile de départager les deux registres. Sherlock Holmes est un personnage fictif de Conan Doyle, la ville de Londres où il évolue est réelle ; Pierre et Natacha sont des personnages fictifs de Tolstoï, là où la Russie de Guerre et Paix est la vraie Russie en guerre contre le vrai Napoléon. Preuve en est, avance Searle : sur les éléments réels, comme le plan de Londres, l’auteur peut commettre des erreurs ; pas sur les éléments fictifs, où il fait ce qu’il veut. “L’épreuve de vérité de ce à quoi l’auteur s’engage est ce qui compte comme une erreur.”

De l’autre côté, les unionistes, comme Margaret Macdonald, autrice du Langage de la fiction (1954), pour qui les fictions tendent à “contaminer” les entités réelles qu’elles utilisent.

“Un conteur n’énonce pas des assertions informatives concernant des personnes, des lieux et des événements réels, même lorsque de tels éléments sont mentionnés dans des phrases fictionnelles : je dirais plutôt qu’ils fonctionnent eux aussi comme les éléments purement fictionnels avec lesquels ils sont toujours mélangés dans le récit. La Russie en tant que décor de l’histoire des Rostov diffère de la Russie que Napoléon a envahie et qui ne contenait pas les Rostov. [...] Tolstoï n’a pas créé la Russie. Mais on peut dire que Tolstoï a créé la-Russie-comme-arrière-fond-des-Rostov”

Margaret Macdonald, Le Langage de la fiction, 1954

Ne pourrait-on pas transposer la question de la “frontière ontologique” dans le monde réel ? Lorsqu’une entité fictionnelle apparaît dans le monde réel, comme lorsque nous croisons un acteur et son personnage dans la rue, reste-t-elle à sa place ou tend-elle à brouiller les repères du réel et de l’imaginaire ? Ainsi, par exemple, les nombreux personnages littéraires (de Julien Sorel à Nadja) qui peuplent pour moi la ville de Paris, ne m’apparaissent pas comme purement imaginaires ; ils peuplent vraiment cette ville quand je m’y déplace, autant sinon davantage que ses habitants “réels”. Pour les ségrégationnistes, le partage entre les deux serait facile à opérer. Mais, pour les unionistes, les entités fictives une fois introduites tendent à se fondre dans le réel dans une troublante indistinction.

Revenons alors au cas de Mathieu Kassovitz, en adoptant la perspective unioniste. On sera alors amené à considérer sérieusement l’hypothèse que son accident puisse être une mise en scène orchestrée par les hommes de Malotru, pour faire croire aux services étrangers pour lesquels il a travaillé “sous légende” qu’il est momentanément hors circuit, alors qu’il est de nouveau en train de les infiltrer. Ce qui est, vous l’aurez compris, une manière de souhaiter le retour sur pied, le plus rapidement possible, de toutes les légendes de Mathieu Kassovitz, y compris la sienne propre. »

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