Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

Éric Rochant en 2019 © Serge Picard

Rencontre

Éric Rochant. Agent double

Michel Eltchaninoff publié le 27 mars 2019 16 min

Saviez-vous que le créateur de la série à succès “Le Bureau des Légendes” est un agent infiltré dans le milieu du cinéma et de la télévision afin de diffuser largement les messages de la philosophie du langage contemporaine ? Et que son héros Malotru travaille à la solde d’obscurs penseurs américains ? Révélations avec notre interrogatoire exclusif.

Pourquoi Le Bureau des légendes exerce-t-il une telle fascination sur les spectateurs ? Pas seulement parce que la série créée par Éric Rochant raconte les aventures d’un superespion en cavale entre la Syrie et la Russie, et les opérations clandestines de la France entre l’Algérie et l’Iran. Plus profondément, c’est parce qu’elle parle de nous : de notre époque où nous nous savons surveillés en permanence, où nous devons contrôler notre « profil », où tout passe par la communication, où les infox remplacent la vérité et où nous pouvons nous inventer des identités et des personnages. Une légende, chacun est capable de s’en créer une, dans sa vie privée, au travail, en société. Dans la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) décrite par Rochant, on passe son temps à chercher et à échanger des vraies et des fausses informations, à déchiffrer des codes secrets, à faire semblant de mentir pour exprimer la vérité, ou à ne rien cacher pour mieux dissimuler.

Éric Rochant lui-même est une sorte d’agent double. Avant d’entrer à l’Institut des hautes études cinématographiques (aujourd’hui la Femis), il se destinait à des études de philosophie. Et cette passion, profonde, ne l’a jamais quitté. Qui est donc cet Éric Rochant philosophe, totalement inconnu du public, dont la couverture se consacre officiellement au cinéma et à la télévision depuis plus de trente ans ? C’est un intellectuel exigeant, qui lit avec assiduité, principalement en anglais, des spécialistes de philosophie du langage peu connus en France, comme Gareth Evans (1946-1980), Keith Donnellan (1931-2015) ou David Kaplan (né en 1933). Ces penseurs inscrivent leur travail dans la tradition dite « analytique », qui est née avec les grands logiciens du début du XXe siècle comme Gottlob Frege, Bertrand Russell ou Ludwig Wittgenstein, et qui s’intéresse aux liens entre la parole, la pensée et la réalité.

Compte tenu de cette double identité *, une question se pose : dans quelle mesure Rochant cinéaste subit-il l’influence de Rochant philosophe ? Le Bureau des Légendes ne devrait-il pas se regarder comme une vaste méditation sur les ressources du langage ? Malotru, Nadia el-Mansour, Phénomène pensent-ils ce qu’ils disent ? En quoi leurs légendes correspondent-elles à un état de choses existant ? Et comment vivre lorsqu’on joue tout le temps un personnage, qui est à la fois soi-même et un autre ? Nous sommes allés à la rencontre du philosophe Éric Rochant dans les locaux de la Cité du Cinéma à Saint-Denis occupés par sa légende, afin de lui poser ces questions vertigineuses.

* Les aficionados de la série auront remarqué qu’Éric Rochant philosophe s’est démasqué en laissant derrière lui un indice (et un seul) : dans la saison 3, un agent, qui n’apparaît jamais à l’écran, s’appelle Vincent Descombes. Comme Vincent Descombes le philosophe français, auteur des Institutions du sens (1996) ou encore des Embarras de l’identité (2013).
 

En quoi la philosophie du langage permet-elle de mieux comprendre Le Bureau des Légendes ?

Éric Rochant : Depuis des années, je lis les philosophes du langage anglo-américains, c’est pour moi un hobby. Et je déplore que, à part quelques exceptions comme Vincent Descombes ou François Recanati – dont je suis les travaux avec attention –, les intellectuels français aient complètement manqué le virage opéré par la philosophie anglo-américaine contemporaine, ce que l’on appelle parfois le tournant linguistique. Selon moi, la tradition analytique a compris quelque chose de fondamental. Pour répondre à de grandes questions comme : « Qu’est-ce que la vérité ? », « Qu’est-ce que le bien et le mal ? » ou « Qu’est-ce que la justice ? », il faut commencer par reconnaître que ce ne sont là que des mots. Il n’y a rien au-delà du langage, pas de vérité sacrée et indicible. Tout passe donc par ce que nous disons. Une analyse du langage est un préalable à la formulation d’une réponse philosophique. Cela donne une méthode d’enquête extrêmement stimulante, et qui n’est pas sans rapport avec ma série. En effet, dans le monde du renseignement, la précision de ce qui est dit est fondamentale. Les personnages du Bureau des légendes parlent de manière extrêmement précise, pas du tout comme dans la vie quotidienne, parce que des vies humaines peuvent dépendre du choix d’un seul mot. Le flou, l’ambiguïté sont interdits dans cet univers de réunions stratégiques, d’opérations périlleuses, de surveillance et d’interrogatoires. Espionner est un métier dangereux. Ce n’est pas un jeu. Ce que l’on dit a toujours des conséquences. Et, à la fin, ce sont les corps qui les subissent.

 

Ce souci de rigueur apparaît-il dès le stade de l’écriture des dialogues ?

Bien sûr, le travail sur le scénario est fondamental. Habituellement, lorsqu’on exerce le métier de scénariste, on a envie de rédiger des dialogues réalistes, naturels, parlés, semblables à ceux que l’on peut avoir dans la vie quotidienne, avec sa famille et ses amis. Pour l’écriture du Bureau des légendes, c’est le con­traire. Chaque mot est calculé. De plus, le travail avec les acteurs devient très particulier, car, généralement, ceux-ci n’emploient pas un langage très précis dans leur vie. Ce ne sont pas des universitaires ! Le plus souvent, quand on leur donne des textes techniques, ils ont du mal à les faire vivre, contrairement aux intellectuels et aux techniciens du langage. Cette qualité spécifique du langage devient même un facteur discriminant, qui dirige le choix de tel ou tel acteur. Il faut des acteurs souples et intuitifs. Ensuite, il faut travailler pour que les acteurs puissent dire ces textes avec naturel. Pour créer une situation réaliste, je leur demande de penser le texte et de désirer le dire. D’ailleurs, les acteurs techniques tendent à réciter leur texte davantage qu’à le penser, tandis que des intuitifs comme Mathieu Kassovitz vont s’approprier le scénario sur un mode plus spontané. Prenez aussi Mathieu Amalric, qui joue ce responsable de la sécurité de la DGSE, inquisiteur et paranoïaque : c’est un acteur qui parvient à avoir une intelligence extraordinaire de l’intonation.

Expresso : les parcours interactifs
Jusqu’où faut-il « s’aimer soi-même » ?
S'aimer soi-même est-ce être narcissique ? Bien sûr que non répondrait Rousseau. L'amour de soi est un formidable instinct de conservation. En revanche, l'amour propre est beaucoup plus pernicieux...Découvrez les détails de cette distinction décisive entre deux manières de se rapporter à soi-même.
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Entretien
11 min
Vincent Descombes. « Le plaisir de se battre avec l’obscur »
Nicolas Truong 25 mars 2009

Discret, Vincent Descombes est pourtant l’auteur d’une œuvre majeure, tout entière tournée vers une philosophie analytique qui saurait ne pas se cantonner au seul langage. De sa découverte des dialogues de Platon à l’aventure du groupe…


Article
14 min
Vincent Descombes. Toi, toi, mon moi
Alexandre Lacroix 18 février 2021

Qu’est-ce qui fait que je suis moi, et pas un autre ? Comme le montre le philosophe Vincent Descombes, auteur des Embarras de l’identité …

Vincent Descombes. Toi, toi, mon moi

Article
3 min
Adoption de la loi sur le renseignement: sécurité contre liberté
Martin Amis 25 juin 2015

La loi sur le renseignement vient d'être adoptée dans une quasi-indifférence par l’Assemblée nationale, tandis que les révélations de WikiLeaks…

Adoption de la loi sur le renseignement: sécurité contre liberté

Article
8 min
La Taupe : esthétique de l’espionnage
Peter Szendy 19 juillet 2012

En adaptant un livre du romancier John le Carré, le réalisateur Tomas Alfredson construit une réflexion passionnante sur le monde des agents, le…

La Taupe : esthétique de l’espionnage

Article
1 min
L’avisé
Juliette Cerf 24 août 2012

Diplômé des Arts déco, Hippolyte Girardot a été révélé par le rôle d’Hippo dans Un monde sans pitié (1989) d’Éric Rochant, film générationnel dépeignant l’entrée désenchantée dans les années 1990. On l’a vu depuis dans Rois et Reine …


Article
2 min
Je  vs. Nous. L’expérience
Michel Eltchaninoff 20 août 2015

« Pense-t-on mieux seul ou à plusieurs ? » Cette question, nous l’avons posée deux fois. D’abord à un philosophe solitaire en son salon, Jean-Luc Marion. Ensuite à quatre intellectuels autour d’une table, Barbara Cassin, Cédric Villani,…


Article
2 min
Vincent Dedienne. Mammifère marrant
Cédric Enjalbert 18 mars 2020

Il tient le haut de l’affiche du Théâtre de la Porte-Saint-Martin (à Paris) dans “La Carpe et le Lapin”, aux côtés de Catherine Frot. Avec elle, Vincent Dedienne interprète un mille-feuille cocasse de textes, de danses et de chants,…


Article
9 min
Jean-Vincent Holeindre : “Poutine est dans un mimétisme stratégique avec le monde occidental alors même qu’il entend s’y opposer”
Martin Legros 11 mars 2022

Si Vladimir Poutine est animé par une forme de ressentiment mimétique vis-à-vis des puissances occidentales, il n’est pas exclu, considère Jean…

Jean-Vincent Holeindre : “Poutine est dans un mimétisme stratégique avec le monde occidental alors même qu’il entend s’y opposer”

Article issu du magazine n°128 mars 2019 Lire en ligne
À Lire aussi
Séance de rattrapage : les moments-clés de Game of Thrones 
Par Octave Larmagnac-Matheron
Perd-on son temps à regarder des séries ?
Perd-on son temps à regarder des séries ?
Par Ariane Nicolas
juillet 2023
L’“utilité commune”, un mode de rémunération révolutionnaire ?
L’“utilité commune”, un mode de rémunération révolutionnaire ?
Par Vincent Valentin
avril 2020
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. Éric Rochant. Agent double
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse