Machine d’Anticythère : le plus vieil ordinateur du monde

Découvert en 1901 dans une épave au large des côtes grecques, le mécanisme d’Anticythère continue de fasciner les scientifiques. Vieux de deux mille ans, il est considéré comme le plus ancien « ordinateur » analogique du monde. Il permettait de calculer la position de cinq planètes et de la Lune. 

Mais comment fonctionne-t-il ? Une équipe de chercheurs de la London’s Global University vient d’en proposer une reconstitution numérique. On découvre ainsi que les Grecs anciens, contrairement aux idées reçues, ne méprisaient pas du tout la technique. 

• On pense souvent que les Grecs ne s’intéressaient pratiquement pas à la technique. Ils auraient pratiqué la science pour elle-même. C’est ce qui les différencierait des Modernes, qui envisagent toute recherche scientifique dans l’horizon de ses applications. Cette thèse est défendue notamment par le philosophe Alexandre Koyré dans son texte « Perspectives sur l’histoire des sciences » (1961) : « L’interaction entre la théorie et la pratique, la pénétration de la seconde par la première et vice versa, l’élaboration théorique de la solution des problèmes pratiques […] me semble être un phénomène essentiellement moderne. » Une coupure radicale entre deux conceptions de la science, en somme : une science toute contemplative d’un côté, une science pragmatique de l’autre.

• Vision simpliste et beaucoup trop binaire, répond le philosophe Cornelius Castoriadis dans Domaines de l’homme (1986). Il y a bien, à ses yeux, une « unité du projet théorique entre la Grèce et l’Europe occidentale ». Le second est une « recréation » tardive de la « pensée rationnelle » telle qu’elle s’est élaborée dès l’Antiquité. Sa logique est la même : « interrogation illimitée d’une part ; […] démonstration, quels qu’en soient les moyens d’autre part. » Y compris des moyens techniques, qui sont bien souvent des modes d’exploration de la connaissance, des manières de tester certaines hypothèses, et pas seulement des conséquences du savoir,

• En témoignent les innombrables inventions antiques, d’une incroyable complexité. « Il n’y a pas que la “machine à vapeur” d’Héron d’Alexandrie […] Il y a les calculatrices analogiques (le “mécanisme d’Anticythère” […], le “calendrier de Londres”, […] mais avec des antécédents sans doute beaucoup plus anciens) ; aussi et surtout, les extraordinaires machines de guerre. » La seule différence, c’est que les Grecs n’ont pas porté cette idée aussi loin que les Modernes. Ils sont notamment restés rétifs à « l’artificiel théorique », c’est-à-dire à l’idée de faire reposer les sciences sur une « axiomatique », qui consiste à supposer des fondements mathématiques arbitraires, à partir desquelles on déploierait des raisonnements rigoureux… et de nouvelles inventions techniques. Non, les Grecs ne méprisaient pas la technique. Mais ils ont refusé de la rendre totalement artificielle. Une leçon à écouter, aujourd’hui encore, pour ne pas tomber dans un monde complètement artificiel ?