Lorsque l’idée d’enfant paraît

La démographie française est en crise, selon une récente enquête de l'Insee. Comment expliquer que les femmes françaises fassent de moins en moins d'enfants ? Ariane Nicolas y réfléchit à partir de son expérience personnelle de “nullipare”.

« Les chiffres sont tombés il y a quelques jours et inquiètent, au point que certains parlent d’un “baby krach” : en France, la natalité et la fécondité sont au plus bas. En 2022, selon l’Insee, alors que l’on n’a enregistré que 723 000 naissances (contre 810 000 il y a dix ans), le taux de fécondité a chuté à 1,80 enfant par femme. Du jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale. Si la tendance ne s’inverse pas, le solde naturel pourrait même devenir négatif d’ici quelques années. Comment l’expliquer ?

Ce petit krach démographique n’est pas une surprise. Que le désir de maternité soit moins “évident” qu’autrefois et que le refus d’enfanter se normalise, tout le monde le constate. Moi-même, nullipare de bientôt 37 ans, je fais partie des pécheresses qui plombent les graphiques. Pendant des décennies, devenir mère n’a pas fait partie de mon “logiciel”. La maternité ne me semblait pas une option de vie – alors qu’étudier, voyager, faire l’amour, si ! Quand l’une de mes amies se piquait de faire un bébé, événement rare par ailleurs, j’avais toujours un léger temps d’insurrection intérieure. Quoi, tu t’y mets ? Mais pourquoi ? La vie n’est-elle pas meilleure sans enfant ? Cette personne que j’avais toujours considérée comme un être dont les organes sexuels servaient à alimenter des conversations cocasses sur le cul, allait devenir maman. Il y avait une étrangeté, un hiatus, que ma sensibilité égocentrée prenait presque pour une trahison.

N’ayant jamais manifesté publiquement de désir d’enfant, et ne m’étant jamais posé la question sérieusement, j’ai longtemps avancé dans la vie en étant aux yeux des autres “celle qui n’en aurait pas”. Et j’ai joué le jeu, un peu fière au fond de passer pour l’“intello au-dessus de ça”, qui se consacrerait aux tâches supérieures de l’esprit – ou à la picole, les deux allant souvent de pair. Si la question m’était posée, je haussais les épaules et changeais de sujet. Non pas que je refusais catégoriquement d’avoir un enfant. Mais l’idée ne me venait pas. C’est comme si vous m’aviez demandé : si la Terre explosait et que tu devais aller vivre sur Vénus, Jupiter ou Pluton, quelle planète choisirais-tu ? J’étais juste prise d’une colossale indétermination, chose qui, dans une société où les personnes décidées sont jugées plus favorablement, passait pour de la faiblesse, voire de la lâcheté.

Aujourd’hui, l’idée m’est finalement venue. Vous allez sans doute vous demander pourquoi, et je vous répondrais : je n’en sais rien ! Pourquoi fait-on des enfants ? Qui sait seulement d’où vient ce genre d’idées ? Il me semble que leur origine nous échappe toujours. Ce que l’on fait passer pour des discours conscients, assumés, informés, me paraît souvent motivé par des causes plus profondes, inaccessibles à première vue. C’est ce que les marxistes appellent la “fausse conscience”, le fait que l’on attribue aux idées un pouvoir intrinsèque, alors qu’elles sont le produit de rapports de forces dans le monde matériel, qu’il faut apprendre à décoder. Les idées naissent d’un agencement de choses, comme le résume Engels : “L’idéologie est un processus que le soi-disant penseur accomplit sans doute avec conscience, mais avec une conscience fausse. Les forces motrices véritables qui le mettent en mouvement lui restent inconnues, sinon ce ne serait point un processus idéologique. Aussi s'imagine-t-il des forces motrices fausses ou apparentes” (Lettre à F. Mehring, 1893).

Quand je lis certaines enquêtes d’opinion tentant d’expliquer la baisse de la fécondité par l’écoanxiété, #MeToo, l’hédonisme contemporain ou que sais-je encore (voir ici, par exemple), je tique un peu. Je vois surtout, en sous-main, dans ce phénomène le signe d’une crise matérielle de la condition féminine, et notamment des femmes de la classe moyenne – les travailleuses diplômées sont celles qui ont le moins d’enfants. Pour que l’idée d’enfant puisse venir à ces femmes, des moyens concrets sont nécessaires : congé paternité de longue durée, places en crèches, construction de logements, adoption facilitée, réorganisation du monde du travail, etc. Pourquoi ce dossier n’est-il pas jugé politiquement prioritaire ? Après tout, il en va seulement de l’avenir de notre société ! »

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