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“Madres paralelas”, de Pedro Almodóvar, avec Milena Smit et Penélope Cruz. © El Deseo/Iglesias Mas

Cinéma

“Madres Paralelas” ou l’indispensable accouchement de la mémoire

Marie Denieuil publié le 10 décembre 2021 4 min

Madres Paralelas, soit « mères parallèles » en français. Le dernier film d’Almodóvar croise les thématiques de l’histoire, de la mémoire et de la maternité, à travers la figure de deux femmes qui tombent enceintes en même temps mais entretiennent des relations différentes au passé espagnol. Un film subtil et émouvant, qui décline cette réflexion sous trois angles.

La disparition

Le premier thème est celui de la disparition. Il renvoie à l’idée qu’une chose a été déplacée, qu’elle n’est ni visible ni vue mais qu’elle existe toujours bel et bien. Pedro Almodóvar opère en ce sens des renvois entre les différentes intrigues. D’un côté, deux femmes accouchent en même temps : Janis (interprétée par Penélope Cruz), photographe et petite-fille d’un républicain disparu qui se bat pour ouvrir la fosse d’un ancien charnier où se trouve son arrière-grand-père ; et Ana (Milena Smit), une adolescente que son père a ravi à sa mère lorsqu’elle était toute petite. De l’autre, le village de Janis qui recherche des disparus enterrés dans la fosse. Difficile de ne pas voir dans certaines péripéties de ce mélodrame une allusion à l’affaire des bébés dérobés à leur mère biologique sous la dictature de Franco, exhumée par le documentaire diffusé en Espagne en 2011, Les Enfants perdus du franquisme.

La relation personnelle entre Janis et Ana, dont l’une connaît la vérité et l’autre l’ignore, permet ainsi de retracer symboliquement le difficile parcours qui martèle l’émergence de la vérité historique, et d’illustrer le rapport d’un peuple à son histoire : après la sidération, vient le tabou et la difficulté du « dire » ; puis, enfin, l’aveu nécessaire, qui permet de mettre la douleur à distance et de s’en libérer. Almodóvar montre à ce titre qu’un passé qui n’a pas été exhumé et mis en mots est condamné à se rejouer au présent, dans des situations qui, l’air de rien, ne sont que la reproduction d’un schéma ancestral.

La transmission intergénérationnelle

Le second thème est celui de la transmission aux générations suivantes, une étape nécessaire pour briser le tabou qui entoure la disparition, une fois que celle-ci devient moins brûlante, plus distanciée dans le temps. Chez le réalisateur, la transmission s’opère souvent, à travers les générations, par les personnages féminins, figures dépositaires de l’histoire et lieu de convergences des savoirs et des secrets familiaux : Madres paralelas met en scène le lien mère-fille, mère-grand-mère, nièce-tante, qui constituent autant de voies de transmission d’une mémoire personnelle et plus large. La relation ambiguë entre Janis et Anas, à la fois substitut de la mère et amante, participe également de cette logique d’une filiation sans cesse recomposée.

La psychanalyse nous apprend qu’un inconscient collectif est à l’œuvre dans l’héritage familial. Contrairement à l’inconscient personnel, « fait de contenus uniques ne se reproduisant pas », l’inconscient collectif est fait de « contenus qui sont universels et qui apparaissent régulièrement », écrit Carl Gustav Jung dans L’Énergétique psychique (1956). La relation entre ces femmes est en effet comme une passation de savoir culturel qui dépasse de bien loin leur seul vécu personnel. Et tout n’est pas forcément tragique ! Ainsi Janis enseigne à Ana les secrets de la recette de la traditionnelle tortilla espagnole, dont on sait chez Almodóvar qu’elle est un symbole de l’âme du pays. Elle transmet par la cuisine plus qu’une recette : tout un héritage collectif qui ouvre la discussion entre elles sur le passé de l’Espagne et le clivage qui opposa républicains et franquistes : « Tu ne sais pas de quel côté étaient ceux de ta famille », clame Janis à Ana, dont l’éducation mémorielle reste à faire, selon elle.

Le devoir de mémoire et la possibilité du deuil

Le troisième thème est celui du devoir de mémoire. Le réalisateur cite à la fin du film le dramaturge uruguayen Eduardo Galeano, dont voici un extrait : « Il n’y a pas d’histoire silencieuse. Qu’on la brûle, qu’on la brise, qu’on raconte n’importe quoi dessus, l’histoire humaine refuse de se taire. » (Sens dessus dessous, 1998) Le film d’Almodóvar l’illustre parfaitement. Janis se réclame d’abord de l’héritage des femmes de sa famille pour justifier sa rupture auprès d’Arturo, qui n’est pas immédiatement prêt à être père : « Je serai comme toutes les femmes de ma famille, une mère célibataire, comme l’a été ma mère, puis ma grand-mère. » Mais elle parvient ensuite à se défaire du poids de son héritage, une fois que la fosse de son arrière-grand-père et des autres disparus est mise à jour. Elle peut alors fonder une famille avec Arturo, dans de bonnes conditions. L’ouverture finale de la fosse symbolise ainsi la libération d’un inconscient collectif qui permet aux individus de se réconcilier avec leur propre passé et d’envisager l’avenir plus sereinement.

Le plan final, après l’ouverture de la fosse et le recueillement des « madres » sur la tombe de leur « fils », rappellent en ce sens le combat des familles des desaparecidos victimes de la dictature de Pinochet au Chili et de Videla en Argentine. Il montre la prégnance d’un passé plus vivant que jamais – pour rappel, il reste encore 4 000 fosses de ce genre à exhumer en Espagne, soit 100 000 personnes disparues. Cette confrontation est à la fois nécessaire aux familles de victimes pour faire leur travail de deuil, et à la bonne santé de tout un peuple. En ce sens, le devoir de mémoire exige de transformer le tabou en parole, l’ignorance en connaissance et en éducation. Et ce non pas « pour que nous vivants soyons ventriloques des morts, comme l’écrit Galeano, mais pour que nous puissions parler avec des voix non condamnées à l’écho perpétuel de la bêtise et du malheur ».

 

Sorti le 1er décembre dernier, Madres Paralelas, de Pedro Almodóvar, avec Pénélope Cruz, Milena Smit et Israel Elejalde, est actuellement en salle.

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