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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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© Hkrustall/Unsplash

Comme une odeur d’entourloupe ?

L'odeur politique des parfums

Clara Degiovanni publié le 18 novembre 2021 4 min

Avez-vous déjà senti l’odeur de la liberté, de l’amour, ou même… celle du socialisme ? C’est la promesse de la nouvelle senteur créée en Inde par le Samajwadi Party, un parti d’opposition de gauche, en prévision des élections à venir. Composé de 22 essences naturelles en référence à la date des élections (2022), ce jus vise à « mettre fin à la colère et la haine dans l’air ambiant ». Le petit flacon rouge et vert, aux couleurs du parti, a été distribué aux journalistes et aux employés lors d’une conférence de presse… Une étrange manière de les mettre – littéralement – au parfum.

Peut-on vraiment penser des programmes politiques et des idéaux abstraits en termes olfactifs ? L’art vaporeux et délicat du parfum a-t-il quelque chose à faire en politique ? L’ouvrage Philosophie de l’odorat (PUF, 2010), de Chantal Jaquet, nous offre plusieurs pistes de réponses.

 

  • Les parfums appellent la mémoire. Une statue, un tableau, un hymne : voici des œuvres qui peuvent s’incarner politiquement pour devenir le symbole d’une nation ou d’un parti politique. Mais un parfum n’est-il pas voué à disparaître, à se dissiper ? Si l’on veut matérialiser esthétiquement ses idées, ne faut-il pas privilégier des œuvres qui durent ? Pas forcément. Dans sa Philosophie de l’odorat, la philosophe Chantal Jaquet explique « qu’il est faux de croire qu’une fois le parfum dissipé, il n’en reste rien ». Les odeurs ont à l’inverse tendance à rester gravées dans nos souvenirs. Or la mémoire, notamment à travers la nostalgie qu’elle suscite, est un affect politique de premier ordre. Des noms de parfum comme « Vague souvenir » de chez Guerlain l’illustrent très bien : les odeurs nous ouvrent un monde oublié ou utopique que l’on voudrait voir (re)naître. « Parfois on ouvre un vieux flacon qui se souvient / D’où jaillit toute vive une âme qui revient » écrivait Baudelaire. Parce qu’ils durent dans le temps, s’imprègnent durablement en nous, les parfums peuvent donc avoir une certaine efficacité politique, voire se diffuser plus rapidement que les idées ! Reste à savoir si l’odeur du « socialisme » est olfactivement séduisante…
  • Les parfums ont les idées neuves. Toutefois, « l’art des parfums […] n’est pas voué à l’évocation du passé et teinté de nostalgie », précise Chantal Jaquet. Une fragrance peut même ouvrir à « la contemplation de nouveaux mondes », car les parfums ont le pouvoir formidable « d’arracher l’imagination à ses stéréotypes », de lui faire découvrir des univers totalement inédits. Par exemple, le célèbre N°5 de Chanel créé par le parfumeur Ernest Beaux en 1921, est décrit par la couturière comme « un bouquet de fleurs abstrait », fait à partir d’un produit de synthèse (que l’on appelle un aldéhyde). Si « le socialisme », « l’amour » ou « la liberté » sont des termes forts bien connus, peut-être verra-t-on bientôt naître des effluves qui seront le condensé olfactif d’idées radicalement neuves, élaborées à partir de produits de synthèse jamais sentis auparavant ? Le parfum, par sa force créatrice, pourrait devenir le support des slogans politiques de demain.
  • Les parfums suivent un programme. La parfumerie, peut-être plus que la politique, doit absolument suivre un programme. Contre la vision éthérée que l’on peut avoir du métier de « nez », Chantal Jaquet souligne la rigueur intellectuelle qu’exige le travail du parfum. Créer une odeur, écrit-elle, « requiert une pensée des rapports et des proportions de chaque composant qui s’harmonise avec les autres pour constituer une forme ». L’intuition ne suffit pas : il faut savoir structurer un programme rationnel, avoir une intelligence du « tout » qui préside aux parties. N’est-ce pas le but du travail politique que d’articuler les intérêts particuliers de chaque citoyen au « bien commun » afin de créer une harmonie ? De même, Chantal Jaquet souligne que le parfum requiert la capacité « d’anticiper la durée et des effets des produits combinés ». Une faculté d’anticipation de l’action au long cours qui, ici encore, n’est pas sans rappeler l’activité politicienne. En parfumerie comme en politique, la création d’une atmosphère nauséabonde peut donc s’expliquer par le manque de rigueur intellectuelle…
  • Les parfums s’adressent à un public ciblé. Enfin, il y a toute une sociologie des parfums, qui varient selon le genre, les classes sociales et les âges. Loin d’être neutre, le choix du parfum donne des informations sur celui qui le porte : il se remarque et permet de se démarquer. Les grandes marques de parfumerie l’ont bien compris et le signifient plus ou moins discrètement dans le choix de la publicité et du flaconnage. Anaïs Anaïs de Cacharel par exemple, au flacon blanc et rose pâle et aux notes de lys, cible les « jeunes filles » ; en revanche, un jus plus entêtant comme le Chanel N°5 et son odeur poudrée très reconnaissable s’adresse plutôt à un public de femmes adultes (et relativement aisées), tandis que le Bleu de la même marque, et sa discrète odeur boisée, cible un public masculin. Toute une hiérarchie autant générationnelle que socio-culturelle peut donc se dessiner seulement à partir de l’odorat, allant des parfums qui « cocottent », associés à la vulgarité, et des senteurs « jeunes » parfois sucrées et tenaces jusqu’à l’écœurement, aux plus délicates eaux de parfum bourgeoises… S’il n’existe pas de cartographie officielle des parfums en fonction des sensibilités politiques de ceux qui les portent, les campagnes marketing peuvent néanmoins en donner une certaine idée.
  • La parfumerie doit rester un art désintéressé. Indubitablement, un tel marketing des odeurs nuit à l’art de la parfumerie. Selon Chantal Jaquet, le parfum décline. « Il tend à devenir banal et passe-partout pour séduire le plus grand monde possible et permettre d’empocher les parts de marché. » Au lieu de vouloir se conformer à un public « cible », à des idées en vogue voire à des programmes politiques, la philosophe suggère de réévaluer le statut de la parfumerie pour en faire un véritable art. Il s’agirait, dès lors, de composer une fragrance comme on pourrait peindre une toile. Non pour vendre un maximum de flacons ou pour diffuser des idées, mais simplement pour la beauté du geste, et la joie pure de sentir un parfum magistralement exécuté.

 

Philosophie de l’odorat, de Chantal Jaquet, est paru en 2010 aux Presses universitaires de France. 448 p., 31€ en édition physique, 23,99€ en format numérique, disponible ici.

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