L’invasion du numérique

Philomag vous propose chaque semaine une sélection d’articles parus dans la presse française et étrangère. Des articles qui nous ont surpris, questionnés, dérangés. L’occasion de découvrir de nouveaux points de vue sur le monde et les événements qui font l’actualité.

Cette semaine, une question : que fait le numérique à nos existences ? Nous avons de plus en plus conscience de la place que les réseaux sociaux, applications et autres plateformes digitales occupent dans notre quotidien. Nous en sommes devenus en partie dépendants, comme l’a montré le vent de panique qui s’est emparé de certains lors de la récente panne de Facebook et ses filiales. Comment penser ce bouleversement historique ? Réponse en trois articles tirés de la presse internationale.

Chris Hayes : “Sur internet, nous sommes toujours célèbres”

Dans un long essai publié dans le New Yorker (en anglais), le journaliste américain Chris Hayes interroge un trait particulier de l’âge numérique : désormais, « l’expérience de la célébrité devient universelle. » Tout le monde, sans doute, n’atteint pas une forte audience sur internet, loin de là, mais il faut bien reconnaître que « jamais dans l’histoire nous n’avons eu autant de gens placés sous le regard d’autant d’autres ». Mais surtout, explique Hayes, la célébrité n’est pas seulement une question d’ampleur, elle tient à la structure de la relation : être célèbre, c’est être confronté à « des gens que l’on ne connaît pas mais qui, d’une manière ou d’une autre, nous connaissent ». C’est exactement ce que nous vivons tous, à différents degrés – si tant est que nous disposons d’un profil plus ou moins public sur les réseaux sociaux –, sur Twitter et les autres plateformes : des individus que nous ne connaissons pas nous interpellent, nous mentionnent, nous commentent. 

Patrick Cingolani : “La colonisation du quotidien”

Dans AOC, le sociologue Patrick Cingolani s’inquiète de la place qu’ont pris les réseaux sociaux dans nos existences. Les plateformes numériques, explique-t-il, sont devenues quasi-indispensable dans la vie de tous les jours : « Pour prendre un rendez-vous avec un médecin, pour des tâches d’enseignement, pour louer un appartement ou une maison de vacances, pour vendre un habit, pour être en relation avec des amis, pour acheter en ligne, pour un déplacement en ville, pour une livraison à domicile ou pour la moindre information. » Notre quotidien est « colonisé ». Les avantages sont réels. Le principal problème, c’est que ces outils sont aux mains d’acteurs privés plus puissants que la majorité des États, qui promeuvent un « capitalisme avide de données ». Comment changer la donne ? « Il semble légitime de revendiquer la collectivisation des moyens de création et de communication que permettent les Gafam », répond Cingolani. Est-ce vraiment faisable ?

Guillaume Pitron : “Les actions génèrent un double impact, physique et numérique”

Le virtuel n’a de virtuel que le nom : ses effets – consommation d’énergie, infrastructures tout ce qu’il y a de plus matériel, hardware, pollution, etc. – sont bien réels ! C’est ce que rappelle le sociologue Guillaume Pitron dans un entretien accordé à la revue Forbes, où il déconstruit le « mythe de la dématérialisation » : « Le numérique ouvre un nouveau chapitre de la pollution humaine », dont nous ne prenons pas encore la pleine mesure. « Tout ce que nous entreprenons dans le monde réel est dupliqué dans les sphères virtuelles », et cette réplique, par son impact réel, provoque une « double matérialisation de nos actions dans le monde réel ». Pitron n’invite pas, pour autant, à rejeter le numérique. Peut-être même pourrait-il servir, si nous repensons son usage, à lutter plus efficacement contre la crise climatique ? C’est l’un des paris de l’Union européenne, qui a récemment lancé une consultation sur la numérisation du système énergétique, afin de rendre ce dernier plus propre.