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Une femme témoigne lors de la première réunion publique organisée par la Ciivise (Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants) à Nantes le 20 octobre 2021. © Thomas Louapre/Divergence

Témoignages

“L’inceste est une œuvre de la mort” : des réunions publiques pour libérer la parole

Joséphine Robert publié le 25 mars 2022 5 min

Se réunir pour mettre des mots sur des douleurs vives et pourtant enfouies, telle est la démarche initiée par la Ciivise (Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants), il y a un peu plus d’un an. Le dispositif vise à soulager les victimes d’inceste en offrant un espace de parole et, peut-être, à inciter certaines personnes à témoigner pour la première fois. C’est dans le respect de l’anonymat des personnes présentes que nous partageons ces témoignages recueillis lors d’une réunion à Paris en février, qui montrent en creux les lacunes juridiques persistantes en matière de violences sexuelles.

 

Mises en place le 23 janvier 2021 par l’exécutif, les réunions publiques de la Ciivise offre un espace à la parole des victimes d’inceste. Cette commission a pour vocation de recueillir les témoignages de victimes afin de sensibiliser la société à l’ampleur des violences sexuelles faites aux enfants. Le dispositif est présidé par Édouard Durand, juge des enfants, et Nathalie Mathieu, directrice générale de l’association Docteurs Bru. Des recommandations émises par le ministère des Solidarités et de la Santé en charge de la protection de l’enfance doivent suivre d’ici quelques mois.

Lors de cette cinquième réunion publique, qui se tient le 16 février au Palais de la femme, à Paris, les discours des « officiels » sont brefs : « Nous vous donnons rapidement la parole car nous sommes ici pour vous écouter. » Le temps est limité (environ deux heures) et de nombreuses personnes ne seront, hélas ! pas entendues.

 

Une libération de la parole sans précédent

18h57, la réunion va commencer. D’une voix hésitante, une femme chuchote : « Je suis trop stressée, je vais pas y arriver… » Une autre lui répond : « T’inquiète pas, je serai juste derrière toi. » C’est Julia*, 39 ans, assise au deuxième rang, qui, d’une voix chevrotante, entame les prises de parole. « Je vais rester assise, si ça ne vous dérange pas, et je vais être obligée de lire car j’ai peur de ne pas pouvoir parler sinon. » Elle respire fort, sa feuille tremble. Elle a été victime d’inceste, de la part de sa mère et de son beau-père durant toute son enfance. Elle souffre d’une amnésie traumatique, et cela va faire trente ans qu’elle est à la recherche d’indices. La jeune femme fait de longues pauses. Comme beaucoup d’autres victimes, elle n’a pas porté plainte contre ses agresseurs. « Je suis incapable d’envoyer ma mère en prison. » Elle s’excuse lorsqu’elle bégaye. « Comment faire lorsque nos agresseurs sont nos parents, les personnes que nous aimons, comme nos enfants, de façon inconditionnelle ? »

“Je n’en finissais pas de ne pas pouvoir vivre, je n’en finissais pas de ne pas pouvoir mourir”
Marie*

 

C’est ensuite Marie* qui prend la parole. À l’âge de 8 ans, elle a été violée par son père. Elle s’adresse à la petite fille qu’elle a été : « L’inceste est une œuvre de la mort. » Ma voisine de gauche s’effondre en larmes et tente de dissimuler son visage dans ses mains. Incapable de masquer ses sanglots, elle quitte la salle. « Je n’en finissais pas de ne pas pouvoir vivre, je n’en finissais pas de ne pas pouvoir mourir. » Sa voix se casse, deux femmes derrière elle lui prennent l’épaule. Sa vie a été ponctuée de troubles alimentaires, de paralysies ponctuelles, qui se feront plus rares au fil du temps. Elle termine avec les mots du poète chilien, Pablo Neruda : « Si chaque jour tombe dans la nuit, il existe un puits où la clarté se trouve enclose. Il faut s’asseoir sur la margelle du puits de l’ombre pour y pêcher avec patience la lumière qui s’y perdit. »

Les témoignages s’enchaînent. Les mains levées, d’abord timides, sont maintenant nombreuses. De nombreuses victimes souffrent d’amnésie traumatique. La mémoire est enfouie dans les corps : les anorexies chroniques, les troubles intestinaux et gynécologiques ne sont que quelques-uns des problèmes médicaux mentionnés : « J’aimerais me libérer le corps, que l’esprit parle un peu plus, et le corps un peu moins. »

 

Un constat douloureux sur l’accueil de la justice

Valentine*, 30 ans, donne la parole à son mari. « Le soir du procès de ma femme, j’ai réalisé que si j’avais roulé à 180 km/h sur l’autoroute alcoolisé, j’aurais payé plus cher que son agresseur. » Valentine a été violée par un cousin germain, à l’âge de 8 ans. Son agresseur est condamné à deux mois de prison et 3 000 euros d’amende. « Lui, les deux mois de prisons sont passés, et moi j’ai pris la perpétuité à l’âge de 8 ans. » La jeune femme raconte son parcours judiciaire, en fait un parcours du combattant. Le recueil de sa plainte est bâclée et conduit à une audience deux ans plus tard. Le 18 mai 2021, elle se présente et elle est confrontée à une « mascarade ». « Mon agresseur a pris la parole pendant une heure, et moi cinq minutes. J’avais l’impression que lui était la victime. »

“Mon agresseur a pris la parole pendant une heure, et moi cinq minutes. J’avais l’impression que lui était la victime”
Valentine*

 

La mascarade ne s’arrête pas là. Lorsqu’elle s’apprête à rentrer dans la salle d’audience, ses deux amies sont refusées, mais son agresseur, lui, rentre avec ses deux parents. Elle se retrouve seule, face à son cousin, son oncle et sa tante. Son viol est considéré comme une agression sexuelle. Ce soir, elle exprime son espoir que la Ciivise fasse bouger les choses, souligne l’impact psychologique, et le besoin d’accompagnement des victimes tout au long de la procédure pénale. « Parce qu’aujourd’hui je ne dirais jamais à quelqu’un de ne pas porter plainte, il faut aller porter plainte, mais je le dirais en serrant les dents parce que je sais à quel point la personne risque de beaucoup souffrir. »

Les victimes expriment leurs douleurs physiques, psychiques et morales, mais, selon elles, la justice fait la sourde oreille : « Je suis content que vous soyez là, j’ai envie de dire merci, mais en même temps j’ai envie de dire c’est normal, c’est putain de normal », affirme Luc*, le seul homme qui prendra la parole ce soir, sur une dizaine de témoignages au total.

 

Un appel à la prévention dans les milieux pédagogiques

Julie* a été victime d’inceste a l’âge de 8 ans. Aujourd’hui, elle a 53 ans, et on lui a demandé des preuves. « Excusez-moi, mais j’ai pas gardé ma petite culotte de quand j’avais 8 ans. L’anorexie, l’automutilation, la boulimie, tout ça… ça suffit pas comme preuves ? » Les politiques veulent mettre en place des formations au repérage dans les écoles, mais : « Non ! Ce qu’on veut c’est de la prévention systématique et obligatoire dans les écoles ». À tous les âges, de la maternelle au collège, on peut leur apprendre que leur corps leur appartient. « Quand on est enfant on sait pas ce qu’on subit, on sait pas si c’est normal, si c’est pas normal, on sait que ça fait mal, mais quand on tombe à vélo, ça fait mal aussi. »

De l’avis des personnes présentes ce soir, ce dispositif de prise de parole publique est une bonne chose. Il repose pourtant sur un paradoxe : encourager la prise de parole en public pour faire émerger ce qu’il y a de plus intime, comme si l’obstacle premier à dire devenait la condition d’une telle émergence. Il est très émouvant de voir ces victimes, qui partagent toutes un traumatisme commun, ressentir le besoin de dire tout haut ce qu’elles ont souvent tu pendant des années.

Parmi toutes les violences sexuelles, l’inceste est peut-être la plus menacée par le poids du silence, tant la honte, l’emprise et la peur de détruire la structure familiale son grands. Si ce tabou est quelque peu en train de se lever, et singulièrement depuis la parution l’an passé du livre de Camille Kouchner La Familia Grande, il reste tenace et risque à tout moment se refermer. Face à une justice trop souvent défaillante, ces réunions publiques apparaissent donc comme un entre-deux où la parole se fraie un chemin inespéré. À visage découvert, les victimes savent qu’elles n’ont ici plus rien à craindre, ni à perdre : « Je suis ici car vous êtes mon dernier espoir. »

 

*Tous les prénoms ont été changés
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