L’impression de flotter sur un lac de désir

Stewart Lindh, propos recueillis par Mathilde Lequin publié le 4 min

Un voyage dans la lumière : voilà ce qu’a été pour Stewart Lindh, l'un des derniers étudiants de Barthes, le séminaire sur le discours amoureux.

«Ancien fusilier dans les Marines, j’avais laissé tomber les études et j’écrivais des poèmes lorsque j’ai eu entre les mains Le Degré zéro de l’écriture – le premier livre de Barthes, publié en 1953. Hypnotisé, je suis allé à Paris en 1974 pour le rencontrer. Et il a accepté de diriger ma thèse sur le langage et la mort. À cette époque, pour gagner ma vie, j’étais videur dans une boîte de nuit à Montparnasse. Chaque semaine, lorsque je me rendais au séminaire de la rue de Tournon, je passais de l’obscurité et du chaos à un espace immaculé.

Il y régnait une atmosphère qui m’évoque de façon irrésistible le Banquet de Platon – à ceci près que l’alcool en était absent. Nous étions là quinze étudiants triés sur le volet, s’essayant à dire l’amour, à capter le désir dans le langage. Cet espace privilégié était intensément érotique, d’un érotisme qui passait par le plaisir du texte, par la jouissance de jouer avec le signifiant. Tout le monde était amoureux de Barthes, et Barthes aimait tout le monde. Il était, pour ainsi dire, notre Socrate : attentive, jamais orgueilleuse, sa voix reconnaissait la différence de chacun. Ce n’était pas celle d’un professeur, employant le langage comme un instrument de pouvoir : le séminaire sur le discours amoureux était au contraire un espace neutre, à la marge, où le langage était utilisé hors du pouvoir. Barthes distinguait l’espace institutionnel, celui de l’École pratique des hautes études, l’espace transformationnel du séminaire (“l’espace de circulation des désirs subtils, des désirs mobiles”, écrit-il dans Roland Barthes par Roland Barthes) et l’espace textuel, celui du désir et du plaisir dans le langage. Cette jouissance du discours était comme une poudre lumineuse qui laissait, après chaque séance, l’impression de flotter sur un lac de désir.

Expresso : les parcours interactifs
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