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Ilya et Emilia Kabakov sous la Nef du Grand Palais © Réunion des musées nationaux-Grand Palais / Photo de Mirco Magliocca

Exposition

L'Étrange Cité des Kabakov: utopie en temps de crise

Cédric Enjalbert publié le 10 mai 2014 5 min
Pour sa sixième édition, Monumenta invite à pénétrer une “Étrange Cité”. Conçue par le couple Kabakov, deux artistes russes contemporains, cette “installation immersive” revient aux sources de l'utopie.

« Le monde de la culture est une utopie ». Comprendre, l’utopie est son domaine. C’est la conviction et le cheval de bataille du couple Kabakov, Emilia et Ilya, deux artistes contemporains russes, exposés au Grand Palais, pour la sixième édition de Monumenta. Qui mieux, après Anish Kapoor ou Anselm Kiefer, que les Kabakov pour emplir les 13 500 m2 du Grand Palais ? Les deux plasticiens sont en effet des pionniers de l'installation totale.


 

Celle présentée cette année au Grand Palais, intitulée L’Étrange Cité, renoue avec les grandes utopies – pour temps de crise – et propose une déambulation dans une construction fantasmée quasi labyrinthique, armant les ressorts de l’imaginaire collectif. « Ériger L’Étrange Cité, c’est insister sur l’expérience plutôt que sur la forme du projet, en vous demandant de ralentir votre course dans la vie réelle, et de faire appel à vos émotions, vos sens, vos souvenirs », ajoute Emilia Kabakov.

Le parcours introduit dans une enceinte, à l’intérieur de laquelle, cinq bâtiments circulaires abritent un « Musée vide », un « Centre de l’énergie cosmique », une salle consacrée aux « Manas »… Avec ses références fabuleuses, son ambiance tantôt mystérieuse, tantôt surannée ou enfantine, l’installation sollicite tous les sens. Peintures, maquettes, dessins, sons, espace… Tradition russe selon les Kabakov : en Russie « tout le monde parle mais personne n’écoute », confient-ils dans un entretien à Beaux Arts Magazine. Il faut donc sans cesse attirer l’attention. Les Kabakov en ont fait un art… contre le divertissement.

L'installation « immersive », selon les mots du Peter Sloterdijk: 

« se révèle comme l’instrument le plus puissant dont dispose l’art contemporain pour placer des situations d’encastrement en tant que telles dans l’espace d’observation […].On ne surestime pas ce processus lorsqu’on le décrit comme un ébranlement des situations ordinaires de désignation. Alors que l’exposition d’art traditionnelle présentait avant tout des objets extraordinaires encadrés ou déposés sur un piédestal, l’installation présente à la fois l’encastré et l’encastrant : l’objet et son lieu sont présentés dans le même geste d’empoignement. L’installation crée ainsi une situation qui ne peut être perçue que par l’entrée de l’observateur dans l’encastrant et eo ipso par la dissolution du cadre et le nivellement du piédestal. Le désencadrement de l’œuvre invite le visiteur à abandonner l’observation et à plonger dans la situation. » (Sphères III, Écumes, article rédigé à l’occasion de la documenta de Kassel, en 1992).

Quelle est la situation de L’Étrange Cité ? Avec son enceinte circulaire, elle rappelle celle du Soleil, de Tommaso Campanella (1602), la théocratie en moins, mais avec une égale aspiration au divin, ou plus justement au métaphysique, à l’angélique – une figure récurrente chez les Kabakov. Métaphysiques, mais pas politiques. Pas d’idéologie dans leur utopie. Eux qui sont nés dans le terreau soviétique, s’en sont déracinés. Artistes hors-sol, émigrés en Amérique, il leur reste toutefois un goût de nostalgie, non pour un régime oppressif et liberticide à l'évidence, mais pour une ambition et un rêve. Emilia Kabakov le souligne : la chute de l’URSS à la fin des années 1980 correspond à la fin des grands récits et des rêves collectifs d’organisation de la société, dont participait le communisme, charriant avec eux une certaine idée de l’homme. Désormais, l’individu contemporain est englué dans la réalité, pied et poings liés au présent du monde. Ainsi François Furet concluait-il son essai sur l’idée communiste au XXe siècle, Le Passé d’une illusion : « L’idée d’une autre société est devenue presque impossible à penser. D’ailleurs, personne n’avance sur le sujet, dans le monde d’aujourd’hui, même l’esquisse d’un concept neuf. Nous voici condamnés à vivre dans le monde où nous vivons. »

Lire l'article
“Insolente utopie” >>

 

Ilya et Emilia Kabakov n’ont pas tout à fait perdu leurs illusions, qu’ils subliment dans des projets « étranges ». Étrange, étrange… à prendre au pied de la lettre : qui rend différent, qui met à l’extérieur. Mais à l’extérieur de quoi nous enferment au juste les murailles de cette cité imaginaire, à défaut d’être idéale ? À l’écart du cynisme de la réalité. On reproche parfois aux Kabakov leur naïveté, voire une propension pour le kitsch. Da, et alors ? Paul Ricœur, qui n’est pas précisément un romantique ni un rêveur, écrit :

« L’effet que produit la lecture d’une utopie est la remise en question de ce qui existe au présent : elle fait que le monde actuel paraît étrange. Nous sommes ordinairement tentés d’affirmer que nous ne pouvons pas mener une autre vie que celle que nous menons actuellement. Mais l’utopie introduit un sens du doute qui fait voler l’évidence en éclats... L’ordre qui était tenu pour allant de soi apparaît soudain étrange et contingent. Telle est la valeur essentielle des utopies. A une époque où tout est bloqué par des systèmes qui ont échoué mais qui ne peuvent être vaincus... l’utopie est notre ressource. Elle peut être une échappatoire, mais elle est aussi l’arme de la critique. »

Les deux artisans de cette cité l'ont rêvée comme une échappatoire – ménageant un espace de retrait, ce lieu de mémoire que devrait être étymologiquement une œuvre « monumentale » (du latin monere, se rémémorer), un abri anti-cynique à l’intention des humanistes. Le visiteur pourra-t-il en faire « l'arme d'une critique »? Voire.


Monumenta 2014 : l'étrange cité d'Ilya et... par Rmn-Grand_Palais
 

Car cette édition de Monumenta est déceptive pour qui vient explorer une œuvre spectaculaire. Kabakov n’est pas Kapoor ou Kiefer. Mais si Monumenta n’est pas bouleversante ni même grandiose, elle intéressera comme phénomène. De quoi ce rêve postmoderne d'utopie en temps de crise est-il le nom ? En 1980, Norbert Elias s’interroge sur les conditions d'émergence de l'utopie comme représentation dans un opuscule récemment republié, intitulé Utopie. Il la définit comme « une représentation imaginaire d'une société qui contient des suggestions de solutions, désirables ou indésirables selon le cas, à un problème ».  Elle peut tout autant contenir une aspiration future qu’une critique du temps présent, « des rêves où des désirs et des peurs se mêlent les uns aux autres »: utopie blanche ou utopie noire. Les Kabakov ne sont pas que des rêveurs. Revenus de l’union soviétique et attentifs aux défis de l’époque, ils ont conçu deux chapelles à l’extérieur de l’enceinte de la Cité Étrange, qui bordent le chemin vers la sortie. L’une blanche, l’autre noire. Ces lieux sacrés rappellent les deux versants de l’utopie, ses bords. 
 


Emilia Kabakov présente L'étrange cité au Grand... par Rmn-Grand_Palais
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