Les sept merveilles de la bande dessinée, par Benoît Peeters

Benoît Peeters vient d’être nommé titulaire de la chaire de « Création artistique » du Collège de France consacrée à la bande dessinée. Nous l’avons invité à commenter les sept albums capitaux qui ont, selon lui, contribué à imposer ce médium comme un art majeur. Entretien au long cours, en forme d’histoire subjective de la BD !

Le Docteur Festus de Rodolphe Töpffer (1840) : naissance de la « littérature en estampes »

« La bande dessinée n’est pas née dans la presse aux États-Unis à la fin du XIX^e siècle, comme on le dit souvent ; elle apparaît dès les années 1830, dans une époque contemporaine de la naissance du daguerréotype, avant la naissance du cinématographe.

Le Docteur Festus. Monsieur Pencil, autographié par l'auteur, Rodolphe Töpffer ; lith. de Schmidt, Genève, 1840. © domaine public

Je choisis d’abord Le Docteur Festus dans l’œuvre de Rodolphe Töpffer (1799-1846), ce Suisse considéré comme le premier créateur de bande dessinée, à cause du lien à Goethe. Car ce docteur Festus est une sorte de prolongement, de parodie, du Faust de Goethe, parrain spirituel de Töpffer. Très âgé, Goethe découvrit avec enthousiasme en 1832 les petits cahiers de Töpffer. Il fut frappé par quelque chose de neuf dans la forme proposée par Töpffer ; la manière dont un personnage, un fantôme, reproduit son identité image après image. Bien autre chose que des illustrations ajoutées à un texte préalable ! Il encourage Töpffer à publier. Il est d’ailleurs amusant de constater que contrairement à tous les préjugés qui ont longtemps accablé la bande dessinée, elle démarre avec un grand penseur qui reconnaît la nouveauté de la forme. Cette nouveauté est rapidement consciente chez Töpffer, car il est le premier promoteur et théoricien de la bande dessinée.

En 1837, Rodolphe Töpffer présentait en ces termes son album Monsieur Jabot :

“Ce petit livre est d’une nature mixte. Il se compose d’une série de dessins accompagnés d’une ou deux lignes de texte. Les dessins, sans ce texte, n’auraient qu’une signification obscure ; le texte sans les dessins ne signifierait rien. Le tout ensemble forme une sorte de roman, d’autant plus original qu’il ne ressemble pas mieux à un roman qu’à autre chose.”

Voilà une première définition forte d’une forme mixte et non pas d’une addition ! Cette forme est alors promise à un riche avenir, elle donnera des drames, des poèmes, des essais.

Töpffer cherche à convaincre autour de lui des auteurs de reprendre ce qu’il appelle “la littérature en estampes”. Ce qui va arriver très vite, car les histoires sous forme de petits livres déboulent à Paris et sont imités, piratés et prolongés. Par exemple chez Gustave Doré ou Nadar, qui feront de petits livres dans la même lignée. C’est cela le “moment Töpffer”. Il y a avec lui une confiance dans le médium qui s’impose, un style de dessin neuf, et puis l’idée que l’on peut traiter de tous les thèmes. La comédie domine chez lui, mais c’est aussi la fantaisie, les premiers voyages interplanétaires, l’intégration des nouvelles technologies de l’époque. Avec Töpffer, émerge la prise de conscience d’une nouvelle manière de raconter le monde. »

Little Nemo de WinsorMcCay (1896) : l’art de la métamorphose

« Traditionnellement, on nous racontait l’histoire de la bande dessinée en la faisant démarrer aux Etats-Unis en 1896 avec le Yellow Kid de Richard Felton Outcault, parce qu’il s’agissait des premières bulles. En réalité, des bulles, il y en avait déjà eu avant la bande dessinée. On assiste à la fin du XIX^e siècle à une deuxième naissance de la bande dessinée avec la capacité à reproduire la couleur. Dans leurs suppléments du dimanche, les journaux américains choisissent les images pour attirer de nouveaux lecteurs. Beaucoup de dessinateurs remarquables se révèlent.