Les philosophes au Panthéon: esprit es-tu là?

L’ethnologue Germaine Tillion (1907-2008), Geneviève de Gaulle-Anthonioz (1920-2002), fondatrice d’ATD-Quart Monde, le journaliste Pierre Brossolette (1903-1944) et le ministre de l’Éducation nationale du Front populaire Jean Zay (1904-1944) : quatre figures héroïques de la Résistance entrent mercredi 27 mai 2015 au Panthéon.

Au son de La Complainte du partisan, les quatre cercueils portés par des gardes républicains doivent être déposés en fin d’après-midi sur le parvis du Panthéon après avoir été exposés en veillée publique à la Sorbonne. Aux côtés de qui prendront-ils place ?

Sur les quelque 300 tombeaux que peut accueillir le monument, moins de 80 sont occupés. Ils le sont en partie par des personnalités tombés dans l'oubli, mais aussi, notamment, par Victor Hugo, par Alexandre Dumas, par Jean Jaurès, par Pierre et Marie Curie, et par Jean Moulin, bien sûr. Le discours qu’André Malraux lui a consacré est devenu le mètre étalon de l’éloquence funèbre. Parmi ces grands hommes, quelques philosophes… étonnement peu et uniquement issus des Lumières.

Le premier à y être transféré est Voltaire (1694-1778), le lundi 11 juillet 1791. La célébration vaut comme l’une des premières cérémonies révolutionnaires. Elle consacre la transformation du Panthéon en temple laïque (dont l’histoire reste jusqu’à la fin du XIX^e siècle une succession d’alternances, entre vocation religieuse ou profane). Sur le sarcophage du penseur insolent, ces mots en guise d’hommage : « Il combattit les athées et les fanatiques. Il inspira la tolérance, il réclama les droits de l'homme contre la servitude de la féodalité. Poète, historien, philosophe, il agrandit l'esprit humain, et lui apprit à être libre. »

La même année, la Convention décide du transfert de René Descartes (1596-1650)... lequel n’a aujourd’hui toujours pas eu lieu. L’auteur des Méditations métaphysiques – dont la mort pour certains demeure suspecte, voir l’enquête : «Qui a tué René Descartes?» – repose encore dans la chapelle abbatiale de l'église Saint-Germain-des-Prés, à Paris. Des doutes persistent d’ailleurs sur l'authenticité de ces ossements, mais également sur celle du crâne du philosophe conservé, lui, au Musée de l’Homme…

Un ennemi de Voltaire repose bien à ses côtés pour la postérité, en revanche : Jean-Jacques Rousseau (1712-1778). Ses cendres sont acheminées d’Ermenonville à Paris, avec les honneurs de la Nation, le samedi 11 octobre 1794, dans la liesse.

Il faut ensuite attendre deux siècles pour qu’un nouveau philosophe intègre ce valhalla républicain. À l’occasion de la célébration du bicentenaire de la Révolution française, François Mitterand décide du transfert de Condorcet (1743-1794), ainsi que de celui de l’abbé Grégoire et de Gaspard Monge, un mathématicien. Au Panthéon, le mardi 12 décembre 1989, Jack Lang alors ministre de la Culture prononce ce discours : « Révolutionnaires en votre temps vous l'étiez. Révolutionnaires en notre temps vous le demeurez… Alors Salut et Fraternité. Bienvenue chez vous dans le temple de la République, dans le Parlement fantôme des hommes libres, égaux et fraternels. »

Denis Diderot (1713-1784), qui n’a pas plus sa place que Descartes dans ce « parlement fantôme », était cependant sur la liste des candidats à la panthéonisation établie par François Hollande. «Panthéonisation», un néologisme assez laid qui renvoie à une cérémonie vidée de sens pour Régis Debray, lequel lui préfère ironiquement « panthéonade ». Le médiologue invite ainsi dans un article intitulé « Trace, forme ou message? », à s’interroger sur le sens d’une telle cérémonie :

« Il est vrai qu’il y a, parmi les lieux de mémoire les plus consacrés, des vivants à éclipse ou des morts en sursis. Le Panthéon en fait partie. Il se réveille de loin en loin, à chaque transfert de cendres ; à chaque retour cependant, la panthéonade montre un peu moins d’entrain. Le temple de la République, gagné par la froideur, deviendra- t-il bientôt son Musée ? »