L'argent démoniaque

Les pathologies de la possession

Daniel Adjerad publié le 7 min

Êtes-vous avare, prodigue, ascète ou cynique ? Le philosophe Georg Simmel pensait qu’il existe quatre grands types de rapports à l’argent. Nous revisitons ces caractères en compagnie d’un sociologue, d’un psychanalyste et d’un philosophe contemporains.

Philosophie de l’argent, paru en 1900, est la plus imposante somme théorique consacrée à l’argent. Georg Simmel y présente des « personnages conceptuels » qui illustrent, chacun à leur manière, un rapport pathologique à la richesse. Mais ces portraits dépassent l’approche psychologique traditionnelle et dévoilent aussi les fonctions anthropologiques de l’argent lui-même. Pour cerner la dimension contemporaine de ces personnages, nous avons invité trois « experts » à relire pour nous Simmel : le philosophe Jean-Joseph Goux, professeur à l’université de Rice (Houston, États-Unis), auteur de Frivolité de la valeur. Essai sur l’imaginaire du capitalisme (Blusson), la sociologue Janine Mossuz-Lavau, auteur de L’Argent et nous (La Martinière) et le psychiatre et analyste Gérard Bayle, ancien président de la Société psychanalytique de Paris, auteur du Trésor des phobies (PUF).

 

L’avare

Vous surveillez les dépenses de votre conjoint ? Lors d’un repas entre amis, vous ne payez que ce que vous avez consommé et refusez de partager l’addition ? L’avarice est proche.

Pour Georg Simmel, l’avare est l’une des figures qui incarne le mieux la fascination face à la toute-puissance de l’argent. Nous permettant d’acquérir tous les objets de valeur, l’argent est le « moyen absolu ». Il est le seul objet qui puisse être échangé contre tous. Aux yeux de l’avare, l’argent acquiert une valeur supérieure à celle des biens qu’il permet d’obtenir car, contrairement à l’objet singulier qui n’est que ce qu’il est, l’argent, lui, est gros de tous les possibles. L’avare va donc l’engranger et, par là même, contourner l’essence du désir. L’achat de l’objet désiré est toujours teinté de déceptions et de surprises. Ici, l’argent étant par essence « vide », la seule chose que l’avare attend de lui, c’est qu’il soit en sa possession. Il imagine ainsi avoir trouvé l’objet le plus adéquat à son désir. Seulement, si l’argent est tout en puissance, il n’est rien en acte. En ne dépensant jamais son argent, l’avare se condamne à ne jamais jouir de « valeurs concrètes ». C’est aussi pour lui un moyen de ne pas choisir et de ne pas se livrer à l’exercice souvent douloureux de sa liberté. En somme, l’avare ne fait que s’incliner devant une nouvelle idole à laquelle il abandonne sa liberté, devenant du même coup le « valet de son valet ».

Expresso : les parcours interactifs
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