Hors-série "Philosophie du réchauffement climatique"

Les climatosceptiques et le maléfice du doute

Étienne Klein publié le 14 avril 2023 5 min

Quand la vérité scientifique nous dérange, on la discrédite, et le vrai devient ce qui nous arrange. Étienne Klein aborde « la vraie-fausse controverse sur le changement climatique » et met au jour la rhétorique des climatosceptiques, nouveau produit de la paresse intellectuelle et du confort politique.

 

Dans 1984 [publié en 1949], George Orwell décrit un monde totalitaire au sein duquel la vérité est systématiquement mise en question. Cela ne vient pas seulement de ce que les hommes politiques y recourraient occasionnellement au mensonge. C’est plutôt que la distinction entre vérité et fiction devient superflue, car elle est d’emblée contrainte et finalement abolie par des exigences de convenance et d’utilité. Le critère du vrai n’est plus l’exactitude, mais la conformité aux besoins du moment. Dans un tel cadre, la science elle-même n’est pas invulnérable aux attaques idéologiques et autres manipulations : les découvertes des chercheurs peuvent être niées si elles sont jugées inappropriées. Ainsi s’exprime le « triomphe cognitif du totalitarisme » : on ne peut plus accuser le pouvoir de mentir, même lorsqu’il le fait comme un arracheur de dents, puisqu’il est parvenu à abroger l’idée même de vérité...

 

Il y a quelques années, je pensais encore du haut de ma naïveté qu’un tel risque ne menaçait que les États totalitaires. Mais la vraie-fausse controverse sur le changement climatique est venue réviser mon jugement en illustrant la nouvelle fragilité des « vérités de science » dans les sociétés démocratiques. Le discours argumenté des spécialistes a été victime de ce qu’Alexandre Koyré a appelé des « conspirations en plein jour » 1, c’est-à-dire des mensonges publiquement assénés, notamment avec l’appui de médias peu avertis en matière de rigueur scientifique. Le succès relatif et provisoire de cette entreprise tient à ce qu’elle a tiré parti de nos faiblesses : nous sommes psychologiquement disposés à user de toutes sortes de stratagèmes pour ne pas accorder de crédit à ce qui est su si les implications intellectuelles ou pratiques de nos savoirs nous chagrinent ou nous dérangent…

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