Le train, un laboratoire philosophique
Il y a quelque temps, j’ai mis ma casquette, enfilé mon uniforme, récupéré mon sifflet : pendant deux mois, je suis devenue contrôleuse SNCF. Depuis ce statut, j’ai perçu le train comme je ne l’avais jamais vu en tant que passagère : souvent comme un théâtre, parfois comme un enfer.
Le train, théâtre mobile
En tant que contrôleuse, bien plus qu’en tant que passagère, j’ai d’abord perçu le train comme un petit théâtre mobile. Le contrôleur, qui passe sa vie à écouter des histoires, y joue d’abord le rôle de spectateur. Dans Les Mots (1963), Sartre décrit à merveille les balivernes – tellement ubuesques qu’elles en deviennent poétiques – que l’on peut entendre en contrôlant les billets. Il présente la stratégie classique : d’abord, le fraudeur « clandestin » commence par affirmer son « respect » pour la fonction de contrôleur et par se soumettre « d’avance à sa décision ». Mais, poursuit-il, « à ce point extrême de l’humilité », le passager « renverse la situation ».
Et c’est parti pour le numéro des excuses toujours terriblement valables et forcément dramatiques. Dans le cas de Sartre : ce sont des « raisons importantes et secrètes » qui intéressent ni plus ni moins que « la France et peut-être l’humanité ». Voir les gens se mettre en scène eux-mêmes et développer des trésors d’imagination est le premier élément assez déconcertant du métier.
Mais dans le train, le contrôleur joue aussi le rôle du metteur en scène actif et parfois complètement débordé par les événements. En une seule semaine, la toute première, j’ai donc eu plus d’interactions sociales saugrenues que dans tout le reste de mon existence. Pour exemple, voici un résumé express de mon premier jour. Mon train était très en retard : en réponse, une personne a fait une crise d’angoisse, une autre m’a personnellement accusée de lui avoir fait rater le mariage de sa meilleure amie, tout cela pendant qu’au loin, un homme sans billet me faisait une série de doigts d’honneur frénétiques depuis le quai de gare bondé. On était en pleine canicule, et le moins que l’on puisse dire, c’est que j’en avais déjà ras-la-casquette.
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