Le sociologue Robert Castel est mort

Né en 1933, Robert Castel passe l’agrégation de philosophie avant de rencontrer Pierre Bourdieu avec lequel il partage cette idée que la sociologie est un « corps-à-corps avec les contraintes. On est ou on devient sociologue lorsque l’on a compris que le monde n’est pas là pour nous plaire, que la société ne fait pas de cadeaux, et que le sujet social est aux prises avec des déterminations qui l’entourent : il est lesté par le poids de l’histoire et assiégé par des forces qui le dépassent ».

Cette conviction, il l’enseigne après Mai 68 à l’université de Vincennes, tandis qu’il se penche sur les travaux critiques menés contre la psychiatrie, notamment par Michel Foucault. Au philosophe, il emprunte son « analyse généalogique », fondée sur un détour par l’histoire des mots et des idées, pour mettre à jour la « généalogie » des concepts. Elle est elle-même héritée de Nietzsche pour qui « Nous avons besoin d’une critique des valeurs morales, et la valeur de ces valeurs doit tout d’abord être mise en question – et, pour cela, il est de toute nécessité de connaître les conditions et les milieux qui leur ont donné naissance. » De ces recherches il tire plusieurs ouvrages dont L’Ordre psychiatrique (Minuit, 1977) et La Gestion des risques (Minuit, 1981, réédité en 2011). Il fonde dans le même temps le Groupe d’analyse du social et de la sociabilité (Grass).

Plus que ses critiques de l’ordre psychiatrique, ce sont ses analyses de l’évolution du travail et du salariat qui lui valent une reconnaissance académique. Tandis qu’il devient directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), en 1990, il écrit Les Métamorphoses de la question sociale (Fayard, 1995), son ouvrage phare. Dans ce classique de la sociologie, il analyse la constitution de la société salariale et son effritement depuis les années 1970, en relevant les conséquences sur l’identité du travailleur et l’intégration sociale. Pour lui, l’essor de l’économie de marché et la mondialisation ont signé le dépérissement du politique, la fin des anciens collectifs de travail et la mise en concurrence des travailleurs.

De cette Montée des incertitudes (Seuil, 2009), Robert Castel a fait un livre, montrant que : « Les individus ont perdu le sentiment de pouvoir maîtriser leur avenir ». Il y revient dans un entretien accordé à Philosophie magazine : « C’est la fin des anciens collectifs de travail. Les travailleurs sont mis en concurrence. Ils doivent être autonomes, développer leur esprit d’initiative. Ulrich Beck parle de “modèle biographique” dans les carrières professionnelles : l’avenir est devenu aléatoire. C’est ce que traduit le terme d’incertitude. »

Il met un mot sur la réalité de ces individus exclus du travail et isolés socialement : la « désaffiliation ». Elle recouvre l’insécurité sociale et la précarité du travail liée à l’effritement de la cohésion sociale. Auteur de La discrimination négative (2007), il a dirigé le Centre d’étude des mouvements sociaux (EHESS-CNRS) jusqu’en 1999. Engagé en faveur de François Hollande en 2012, il réalise un dernier livre d’entretien intitulé Changements et pensées du changement (La Découverte, 2012) et présente une ouvrage collectif, explorant les expériences susceptibles de penser à nouveaux frais la protection sociale: L'Avenir de la solidarité (PUF, 2013).