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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Herbert Marcuse à Düsseldorf en 1976. © Brigitte Hellgoth / akg-images

L’inconnu célèbre

Le marxisme enchanté de Herbert Marcuse

Moritz Rudolph publié le 29 juillet 2023 5 min

Il y a 125 naissait Herbert Marcuse (1898-1979), singulier marxiste qui, au sein de l’École de Francfort, appela à une révolution du désir pour briser l’ordre répressif instauré par le capitalisme. Une voix qui n’a rien perdu de son actualité.


 

Lorsqu’au début des années 1940, Max Horkheimer [lire notre article] cherchait un philosophe pour l’accompagner dans son travail sur la Dialectique de la Raison (1944), il ne pensa pas en premier lieu à Theodor Adorno, mais à Herbert Marcuse, le philosophe de l’Institut de recherche sociale de Francfort, en Allemagne. Avec lui, le livre aurait sans doute été différent. Et la « théorie critique » aurait été un autre projet : non pas celui d’une « triste science » (Adorno) s’efforçant d’expliquer « la marche de la fatalité » (Horkheimer), mais une recherche d’alternatives révolutionnaires au statu quo libéral.

Marxiste heideggerien…

Marcuse, élu au sein des conseils de soldats à Berlin en 1918, avait vu la révolution tant attendue s’effondrer à cause d’une scission du mouvement ouvrier. Il s’était juré de faire, contre la social-démocratie, de la politique « révolutionnaire et sans compromis ». Dans cet optique, il suit d’abord l’enseignement de Martin Heidegger, afin de pallier la précarité affective de la politique d’extrême gauche. La révolution n’a pas échoué en raison d’une nécessité objective, mais à cause de facteurs subjectifs. Selon Marcuse, la société bourgeoise a tellement colonisé l’existence que le désir, en particulier le désir de futurs plus heureux, est resté en jachère. Il faut le réveiller d’un coup de baguette magique, grâce à l’analyse de l’existence. Le philosophe invente ainsi le « marxisme heideggérien », grand écart théorique qui séduisit d’autres philosophes de l’histoire aux ambitions messianiques comme Alexandre Kojève.

Marcuse apprend dans les années 1930 que ce réveil du désir pouvait mal tourner. Le fascisme opère une révolution à l’envers et fait bientôt déferler la guerre sur le monde. Marcuse se retrouve soudainement dans le camp de ses adversaires. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il réalise des analyses du fascisme pour l’Office of Strategic Services, ancêtre de la CIA, afin de combattre l’Allemagne depuis son exil américain. Après la guerre, il est nommé professeur de sciences politiques à Boston et à San Diego – et devient le maître à penser d’une révolte qui empruntera d’autres voies que celle de 1917. Le marxisme du mouvement ouvrier s’est enlisé dans l’impasse soviétique, ou a été dévoyé par la social-démocratie. Marcuse développe donc, dans les années 1950, un marxisme hétérodoxe qui valorise le « principe de plaisir » contre le « principe de réalité », le mouvement contre la paralysie, la vie contre la mort.

…et freudo-marxiste

Son ouvrage principal, L’Homme unidimensionnel (1964), s’efforce de penser comment « des forces et des tendances […] peuvent briser la sclérose et faire exploser la société » libérale. Pour cela, il faut surmonter le « thermidor psychique » : le risque que la révolution, avant d’échouer à cause de résistances extérieures, ne périsse intérieurement par manque de volonté. Pour résoudre ce problème de volonté, Marcuse ne mise plus sur Heidegger, mais sur Freud, dont la psychanalyse devient, sous sa plume, la doctrine de mobilisation des pulsions nécessaire à la « libération du monde pour la jouissance ». Le capitalisme tardif est un régime fondamentalement répressif, qui assure son hégémonie par une mise au pas, une discipline des forces désirantes : l’aliénation du travail, le domaine de la nécessité, est complétée par l’aliénation de la consommation qui, créant de toutes pièces des désirs factices, canalise les forces libidinales dans des voies déterminées, qui alimentent la machine économique. Tout l’enjeu, pour Marcuse, c’est de désirer à nouveau autrement : de renouer avec le libre jeu des facultés en quoi consiste la vie intime, en quoi s’enracine la singularité du sujet.

Là où ses anciens collègues de l’Institut de Francfort, Horkheimer et Adorno, se réfugient de plus en plus dans un certain conservatisme – explicitement chez Horkheimer, à demi-mot chez Adorno – Marcuse, qui est tout sauf un optimiste naïf, approfondit sa position : celle d’un révolutionnaire par désespoir. C’est précisément parce que tout va de mal en pis que la révolution est plus nécessaire que jamais. L’agent de cette révolution, cependant – et en cela, Marcuse reste proche de ses anciens collègues de l’Institut – n’est plus le prolétariat fantasmé par les marxistes orthodoxes, mais les marges de la société qui en subvertissent l’ordre répressif : femmes, militants des droits civiques, hippies, artistes, combattants anticoloniaux et étudiants doivent coaliser leur mécontentement.

Le héraut de Mai-68

Leur « rébellion », écrit Marcuse en 1969, « naît de l’expérience de l’absurdité de cette société, de l’absurdité de sa rationalité, de la force destructrice de sa productivité ». Le durcissement de la société donne naissance à de nouveaux sujets, avec lesquels Marcuse veut oser « le saut du royaume du manque et de la domination vers le royaume de la liberté ». Ce saut exige une bonne dose d’imagination. Le centre de la lutte des classes se déplace de la poursuite d’intérêts économiquement supposés vers l’excès, le surplus créatif. En particulier, « la situation historique » fait de « l’imagination une force métapolitique » qui « unit les besoins spontanés, créatifs, sensuels aux dures exigences de la politique ». L’imagination peut « activer la sensibilité en friche de l’homme » et « libérer non seulement la productivité », mais aussi la « réceptivité » de l’homme, et « renforcer ses pulsions de vie – Éros contre Thanatos ». Pour Marcuse, « le paradis peut être restauré sur la base des acquis de la civilisation ».

Marcuse verra, dans les événements de Mai-68, une mise en œuvre de son horizon théorique. Le mouvement s’inspire autant de Marx que d’André Breton. « L’imagination au pouvoir », scandent les étudiants. Alors qu’Adorno et surtout Horkheimer prennent leurs distances avec les mouvements de révolte, Marcuse devint une idole incitant à la « négation intégrale » et dénonçant la « tolérance répressive » du libéralisme. Marcuse a conservé, jusqu’à la fin de sa vie, son intérêt pour les nouveaux sujets révolutionnaires : les luttes contre le colonialisme et le « système mondial » capitaliste, la critique de l’hypocrisie de l’Occident, l’attention portée aux questions d’écologie, de genre, de race et, en général, à toutes les formes de « déviance » sociale. Ces enjeux n’ont rien perdu de leur actualité. Une bonne raison pour relire Marcuse aujourd’hui.

 

Ce texte est une traduction d’un article initialement paru dans l’édition allemande de notre magazine, que vous pouvez retrouver ici en version originale.

Herbert Marcuse, un “révolutionnaire par désespoir” toujours aussi pertinent
Traduit par Octave Larmagnac-Matheron
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