Le maquillage : vérité, mensonge… ou magie ?

« La beauté commence par la vérité. » Ce n’est pas une citation d’un philosophe inspiré, mais le slogan d’une récente publicité de crème pour la peau. Vendue comme un produit de « soin », cette crème est censée agir « de l’intérieur » : elle n’embellirait pas en corrigeant les éventuelles imperfections à la surface de la peau, mais en révélant notre éclat « naturel ». Si la notion de « vérité » est de plus en plus mobilisée dans les discours publicitaires, particulièrement au rayon beauté, c’est parce que, inversement, les cosmétiques sont souvent perçus comme des artifices trompeurs, bien loin d’une quelconque « vérité intérieure ». Cette critique du maquillage comme mensonge ne date pas d’hier... Mais n’est-elle pas réductrice ? Et si le maquillage avait plutôt à voir avec autre chose encore ?

• Dans le Gorgias, Platon considère que le maquillage est une « activité perverse, trompeuse, vulgaire et servile, qui leurre par les allures qu’elle donne ». Chez le philosophe grec comme dans le slogan publicitaire, « la beauté commence par la vérité » – ces deux notions sont indissociables l’une de l’autre. Si je mens sur le rose de mes joues ou la longueur de mes cils, je ne peux pas vraiment être belle : en dissimulant la nature sous des artifices, je n’offre au mieux que « flatterie » et « beauté factice ». En contrepoint, les produits « de soin » cherchent donc à se démarquer de cette image de la cosmétique comme « tricherie », en privilégiant le « vrai », c’est-à-dire le « naturel ». 
• Cet éclat prétendument naturel de la peau, les publicitaires l’appellent le « glow » (en anglais, « luire », « être éclatant »). À savoir, un teint lumineux et frais, légèrement brillant et rosé, quasi enfantin. Avoir un glow, c’est respirer la bonne santé et les promenades au grand air. Inutile de dire que, pour l’obtenir, une crème suffit rarement (à moins d’avoir 6 ans). Paradoxalement, il faut énormément de maquillage pour avoir l’air… non maquillé. Le maquillage « naturel » (bel oxymore…) proposé par le glow est donc une reconstitution artificielle du naturel avec « effet bonne mine ». D’ailleurs, Platon n’aurait pas forcément désapprouvé : selon lui, la cosmétique peut aussi être « un art qui concerne l’ornement », tant qu’elle se cantonne à sublimer le naturel, sans le transformer. Il s’agit de célébrer l’ordre cosmique (autrement dit d’ordonner les choses), non de le modifier fallacieusement.
• Mais au lieu de condamner le mensonge et la tromperie, ne faut-il pas plutôt libérer le maquillage de l’idée même de « vérité » et de « naturel » ? Loin des palettes nude (couleur « peau nue ») nécessaires au glow, une grande diversité de techniques et de couleurs s’offre aussi : des fards scintillants ou fluorescents, des motifs fantastiques, des créations en trompe-l’œil (un exemple avec la maquilleuse Marion Caméléon). Dès lors, le maquillage devient ce que Theodor Adorno appelle de « l’art », à savoir « de la magie délivrée du mensonge d’être vraie » (Minima Moralia, 1951). Libéré de la contrainte de la vérité et du naturel, il peut ainsi devenir fantaisiste, voire fantastique ou extravagant. L’artifice n’est plus une tromperie, mais une illusion pleinement assumée, laissant place à la liberté créatrice. Et le mensonge devient magie.