Le jour où les dés m’ont guidé

Michel Eltchaninoff publié le 7 min

Peut-on aller à la rencontre du pur hasard ? Notre reporter s’y est essayé en voyageant, le temps d’une journée, à coup de dés. Morale de l’aventure : on finit toujours quelque part.

8 heures du matin. Je tends à mon fils les quatre cartes de Monopoly qui figurent les gares parisiennes. Il ferme les yeux et en tire une. Gare Montparnasse. Je partirai vers l’Ouest.

 

Un peu plus tard, je m’arrête devant le panneau des départs. J’ai deux dés en mains. Je me baisse vers le sol et les lance : un cinq, un deux. Sept, mon chiffre fétiche ! Je me relève et regarde le tableau d’affichage. En commençant par la première destination, je descends et compte jusqu’à sept : Granville, départ 10 h 24. Ce nom banal ne me dit pas grand-chose. Je n’y suis jamais allé, et ne sais rien à son sujet, à part que la ville doit se situer quelque part entre la Bretagne et la Normandie. Après avoir acheté mon billet et constaté que le trajet durerait trois heures, je m’amuse à imaginer la journée que j’aurais passée en tirant un quatre ou un onze : Quimper, Toulouse, Chartres, Tarbes ? Je connais certaines de ces destinations, d’autres m’auraient plu d’emblée. Mais cartes et dés m’envoient ailleurs, vers un endroit qui n’éveille dans mon esprit rien d’autre que de l’interrogation – sans l’excitation que j’aurais pu ressentir si j’avais dû partir pour Marseille, Londres ou Liège. Aussi vide de désir qu’un pèlerin bouddhiste, je renonce à acquérir, chez le marchand de journaux, les guides de Bretagne et de Normandie, dont j’aurais bien besoin, et monte dans le train. C’est que je ne suis pas parti faire du tourisme, mais expérimenter le sort, transformer réellement une journée ou deux de ma vie en une série de hasards. À première vue, ce projet semble simple et paraît s’inscrire dans la tradition des errances romantiques, des fugues bohèmes, des flâneries surréalistes, voire de la dérive psychogéographique chère au situationnisme. Il n’en est rien, tout simplement parce que tous ces sympathiques vagabondages du passé n’obéissent pas vraiment au hasard. Se laisser guider par ses humeurs, ses désirs refoulés, ses rêveries, c’est toujours laisser intervenir, d’une manière ou d’une autre, le moi, ses espoirs et ses semi-volontés. Le véritable voyage de hasard, au contraire, réclame de s’abandonner radicalement à ce qui ne dépend pas de nous.

Expresso : les parcours interactifs
Joie d’aimer, joie de vivre
À quoi bon l'amour, quand la bonne santé, la réussite professionnelle, et les plaisirs solitaires suffiraient à nous offrir une vie somme toute pas trop nulle ? Depuis le temps que nous foulons cette Terre, ne devrions nous pas mettre nos tendres inclinations au placard ?
Pas si vite nous dit Spinoza, dans cet éloge à la fois vibrant, joyeux et raisonné de l'amour en général.
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