Le fond de l’air est bleu

La France a-t-elle basculé à droite ? À l’heure actuelle, le match de la présidentielle se joue entre le centre droit et l’extrême droite. D’après les sondages de début d’année – évidemment susceptibles d’évoluer –, le second tour pourrait opposer Emmanuel Macron à Marine Le Pen, Valérie Pécresse ou Éric Zemmour. On peut expliquer cette situation par l’incapacité de la gauche à se rassembler. Mais il ne s’agit pas seulement d’arithmétique électorale ou de jeux politiciens. Un basculement idéologique semble avoir eu lieu en France. Dans l’entre-deux-guerres, le critique littéraire Albert Thibaudet avait créé le néologisme de sinistrisme (du latin sinister, « gauche ») pour désigner un mouvement qui remplaçait les partis de gauche par d’autres, plus radicaux, ce qui a progressivement permis à la gauche d’être présente dans la majeure partie de l’espace politique. Après guerre, le parti communiste, sans jamais exercer le pouvoir national, occupe le terrain. Mai-68 consacre la victoire de la gauche dite culturelle. François Mitterrand fait arriver la gauche au pouvoir en 1981. Mais, comme le rappelle l’historien Gérard Noiriel, le tournant de la rigueur budgétaire, en 1983, divise la gauche populaire et la gauche sociétale, qui se soucie davantage de lutter contre les discriminations que contre les excès du capitalisme. Reste que, dans les têtes et dans les cœurs, les accents du raï résonnent et que l’on célèbre, lors de la Coupe du monde de football en 1998, la France « black-blanc-beur ».

Le basculement des valeurs

Sommes-nous passés du sinitrisme à la dextrisation ? Des valeurs classées à droite sont plébiscitées. Dès 2010, un sondage du quotidien La Croix montre que 79 % des jeunes interrogés éprouvent un sentiment positif à l’égard de l’autorité contre 66 % de leurs parents. Comme l’écrit ironiquement la politiste Frédérique Matonti dans Comment sommes-nous devenus réacs ? (Fayard, 2021), « il va désormais quasi de soi que les allocations-chômage n’incitent pas à reprendre un emploi, qu’il faut une contrepartie au RSA, que les fonctionnaires sont des privilégiés dont il faut supprimer tous les supposés avantages, que la fonction publique d’ailleurs est trop nombreuse, que les Français ont vécu au-dessus de leurs moyens, que l’on devrait travailler plus longtemps pour bénéficier d’une retraite à taux plein, que les petits délinquants sont laissés en liberté, que le niveau scolaire baisse inexorablement, que les banlieues sont des zones de non-droit, qu’on ne peut plus rien dire ni plaisanter, que l’on ne peut pas accueillir plus d’étrangers puisque l’intégration a échoué, etc. ».