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© Jorm Sangsorn/iStockphoto

Un classique éclaire le présent

Le “crime gratuit”, ou la banalité du mal selon Gide

Antony Chanthanakone publié le 03 février 2022 4 min

Le 18 janvier, un homme a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité à la cour d’assises de Nîmes. En juin 2018, Mathieu D. avait assassiné une femme après l’avoir prise en auto-stop puis dîné avec elle, dans un élan de violence indescriptible. Le motif de ce meurtre sordide ? « Pour savoir ce que ça faisait », avait répondu l’assassin. Aucune raison particulière, donc : c’était un crime « gratuit ».

Motif récurrent de la littérature, cet acte sans mobile déterminé a beaucoup inspiré les écrivains. André Gide est de ceux-là. Dans son roman Les Caves du Vatican (1914), il explore la question du mal et de l’« acte gratuit », et par là, expose sa propre vision de la liberté humaine.

 

  • Le motif du crime commis par Mathieu D. reste vague : « Pour savoir ce que ça faisait », a-t-il déclaré au juge lors de son audition. Le président du tribunal a lui-même fait le rapprochement avec la littérature, citant Fiodor Dostoïevski et André Gide face à l’accusé : « Votre but était de devenir celui qui se fait passer pour l’homme qui a tué pour voir ce que ça faisait. Mais vous n’êtes pas le premier. André Gide, Les Caves du Vatican, Dostoïevski, Crime et Châtiment... C’est cuit et recuit. » Plus que Crime et Châtiment (1867), il est vrai que cette affaire criminelle résonne étrangement avec l’ouvrage de Gide. À travers ce roman, plus immoraliste que L’Immoraliste (1902) lui-même ou La Porte étroite (1909), est exposée la conception du mal chez Gide et, par son truchement, la conception que celui-ci se fait de la liberté humaine.
  • L’intrigue des Caves du Vatican tourne autour du projet de libérer le pape, réputé être séquestré dans lesdites caves. Au milieu du roman, le personnage principal, Lafcadio, en soif d’aventure, souhaite commettre un « crime sans motif » : il pousse Amédée Fleurissoire, venu à Rome pour libérer le pape, du train. De prime abord, aucune raison n’explique ce geste assassin. Il n’est pas question d’argent (alors qu’Amédée est en possession d’une somme d’argent), ni d’amour ou de gloire (Lafcadio ne se livre pas à la police et préfère vivre discrètement son histoire d’amour avec Geneviève). En somme, c’est l’absence de causalité qui est la cause même de son crime.
  • Mais, d’où vient la possibilité, chez Gide, du crime sans mobile ? L’immoralisme de son personnage a pour cadre métaphysique la conversion d’André Gide au nietzschéisme. De Nietzsche, ce « défenseur acharné des droits de l’individu à un épanouissement entier de son génie et de ses aspirations », Gide retient notamment l’idée que certains individus aspirent à une forme de supériorité : dans Les Caves…, l’humanité se divise en « subtils » et en « crustacés ». Alors que les seconds sont pétris de peur et n’osent sortir du conformisme, les premiers sont épris de liberté et souhaitent transcender leur condition en jouissant de leur liberté absolue. On reconnaît derrière ces mots la critique nietzschéenne de la morale du faible et sa théorisation du surhomme.
  • Cette liberté est reçue de la mort de Dieu lui-même. Délivré, l’humain est tenté de se faire divin : « L’homme n’est jamais plus près de Dieu que lorsqu’il atteint l’extrémité de sa détresse. » (Dostoïevski, conférences d’André Gide). On retrouve dans le geste de Lafcadio la grande question de l’auteur russe : si Dieu n’existe pas, alors tout n’est-il pas permis ? Oui, si l’on en croit l’écrivain athée. Dans Les Caves…, la transgression et le mal ne sont que pur plaisir instinctif (« En un instant, sa résolution fut prise »), qui confine presque au jeu (« Là, tout près de ma main, sous ma main, cette double fermeture que je peux faire jouer aisément […] joue ma foi ! », fulmine Lafcadio au moment du meurtre). La liberté ouvre aussi les portes du mal. D’où, sa certaine « banalité ».
  • Quid alors de la culpabilité du protagoniste ? La réponse de Gide est évasive. Lafcadio ne se rend jamais et semble s’accrocher à la vie triomphante, qui se résume pour lui à une recherche perpétuelle d’expériences sensuelles que rien ne peut arrêter. Toutefois, bien qu’il hésite à se livrer, Lafcadio vit avec le poids de son geste : « Ah Monsieur […] tout ce qu’on ferait dans cette vie, si seulement on pouvait être bien certain que cela ne tire pas à conséquence […] Si seulement on était assuré que cela n’engage à rien… » L’« acte gratuit » est tout de même une affaire de morale personnelle.
  • Même s’il ne tranche pas, Gide explore à travers l’acte gratuit l’ambivalence de la conscience humaine, tiraillée entre plaisir sensuel et responsabilité. Et son exploration littéraire a pour but de donner à penser à l’énigme de la liberté humaine au travers de l’hypothèse gratuite d’un crime qui l’est tout autant. Pour la justice, c’est dans un tout autre sens, semble-t-il, que Mathieu D. se rapport à son propre crime. Non pas pour en mesurer la gravité et peser sa responsabilité, mais, au contraire, comme d’un alibi au deuxième degré, qui lui permettrait de s’en dédouaner. À son procès, il a ainsi déclaré : « Je suis parfaitement conscient de ce que j’ai fait, je sais à quel point c’est affreux, et je sais que je devrais le regretter amèrement, mais je regrette... que ce ne soit pas le cas. » Là où Gide se demandait si l’on n’était pas responsable de son irresponsabilité, la théorie du crime gratuit semble étrangement servir un assassin à se soustraire à tout examen de conscience.
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