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© Matthew Sichkaruk/Unsplash

Psychotropes

Le cannabis récréatif en question

Octave Larmagnac-Matheron publié le 28 janvier 2021 3 min

Faut-il légaliser l’usage du cannabis récréatif ? La mission d’information parlementaire de l’Assemblée nationale, présidée par le jeune député Robin Reda (LR), a lancé, hier, une consultation pour essayer de répondre à cette question. Ou, du moins, pour tenter de mesurer l’« attente des citoyens sur le sujet ». Véritable serpent de mer politico-médiatique, l’évolution possible de la législation sur le cannabis récréatif suscitera, à n’en pas douter, des débats animés. L’expression elle même a de quoi interroger : « récréatif » évoque plus les cours d’école que les appartements enfumés. L’épithète, pourtant, n’est pas si absurde que ça, aurait sans doute affirmé le philosophe Walter Benjamin : le haschich permet, à ses yeux, de « recréer » un lien perdu avec le monde.

  • Et si l’on prenait au sérieux la notion de récréatif ? Que s’agit-il, avec le cannabis, de recréer ? Dans Sur le haschich (Christian Bourgois, 2011), le philosophe allemand Walter Benjamin, qui a personnellement expérimenté le haschich avec une grande curiosité intellectuelle, établit lui-même une équivalence lorsqu’il évoque « l’intoxication consumante de la création ». À ses yeux, dans la « joie amoureuse » du haschich, l’homme restaure, recrée un lien perdu avec le monde : il fait l’expérience du dépassement de l’individualité, de la communauté qui réunit les êtres. « Il y a un état de connexion amplifiée avec le monde et avec les autres humains […] Rien de la personne ne subsiste plus que la capacité illimitée, et souvent la propension illimitée, à se mettre à la place de tous les autres dans le cosmos, y compris tous les animaux, tous les objets inanimés. » La « transe extatique » révèle notre « entrelien avec le cosmos », elle nous ramène à « l’absorption dans une expérience cosmique » dont les sociétés anciennes faisaient l’épreuve, et que la modernité a oblitérée. Comme l’ajoute Benjamin dans une lettre à Adorno, « la mêmeté est une catégorie de la cognition [que] l’on ne trouve pas dans la perception sobre. »
  • La drogue permet justement, pour Benjamin, de s’affranchir de la « perception sobre ». Non, cependant, en raison d’effets psychédéliques qui déformeraient la réalité : le cannabis se contente de « desserrer les objets et les soustrait au monde ordinaire ». L’« illumination profane » du haschich ouvre à une expérience de « tendresse à l’égard des choses » et des choses à l’égard de soi (« tendresse infinie du vent »). Manière de rompre la « connexion optique à l’univers » qui marque la distance et le pouvoir de l’homme sur le monde. Pour en faire l’épreuve, l’homme doit renoncer à la prise qu’il exerce sur le monde : « Affinités et identités s’établissent d’elles-mêmes. » L’entrelacs des sens (Benjamin parle d’une « audition colorée ») est à l’image de la communauté des êtres que redécouvre le fumeur.
  • C’est aussi, dans la transe extatique, le « moi » qui se dépouille de lui-même. Le haschich produit une « perte de soi » (Ichlosigkeit). « L’intoxication [est] un desserrement de soi » (Lockerung, desserrement, un terme repris par Benjamin à Walter Serner, le père du dadaïsme) : « Je ne suis pas je, je suis à certains instants le haschich. » Le haschich permet, pour Benjamin, d’échapper à ce « nous-même que nous absorbons dans la solitude », ce soi replié sur lui-même et séparé du monde. De dépasser, aussi, l’angoisse de la mort qui caractérise l’individu qui se cramponne à lui-même : « La mort se tient entre moi et mon intoxication […] La mort [est] comme une zone entourant l’intoxication. » S’ouvre, alors, la possibilité d’un autre rapport à soi, ouvert sur l’extérieur, la possibilité d’une « relation de jouissance du sujet à sa propre existence » qui ne passe pas par la mise à distance arrogante du monde : « Le haschich possède le pouvoir de persuader la nature de répéter le grand gaspillage de notre propre existence dont nous jouissons en amour. »
  • Un dedans qui est aussi bien un dehors – une intimité à soi qui est, simultanément, absorption dans le monde. Le cannabis permet une « expérience intérieure aux dimensions immenses, de durée absolue et d’un monde à l’espace illimité. » Expérience aussi originaire que paradoxale, dont le cours de la vie quotidienne nous éloigne. Expérience « qui s’attarde à plaisir aux contingences du monde de l’espace et du temps », sans angoisse, avec un « humour serein ». Expérience peut-être proche, au fond, de celle de l’enfant. La connotation scolaire du cannabis « récréatif » prendrait, alors, un sens différent : celui de la nostalgie d’un rapport naïf au monde que nous aurions perdu et prendrions plaisir à redécouvrir. Reste à savoir si la loi nous permettra bientôt de renouer, en toute légalité, ce lien récréatif avec le monde.
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