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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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© Capture d’écran de la vidéo sur YouTube “Buddha in contemplazione, la scultura che non si vede” (“Bouddha en contemplation. La sculpture qui ne se voit pas”), de Salvatore Garau, ici “installée” sur la Piazza della Scala, à Milan.

Esthétique

L’Art du vide

Octave Larmagnac-Matheron publié le 20 juin 2021 4 min

15 000 euros : c’est le prix déboursé récemment pour une œuvre d’art invisible et impalpable imaginée par le peintre italien contemporain Salvatore Garau. Un peu cher pour une nappe d’air simplement délimitée par un marquage au sol, et un certificat d’authenticité dont on se demande bien à ce dont il atteste, puisque l’œuvre n’est plus un agrégat déterminé de matière mais un flux incessant d’atomes ? Sans doute – en tout cas, certains n’hésitent pas à s’en désoler, parfois avec (beaucoup d’)humour. De quoi alimenter en tout cas l’image, moqueuse, d’un art contemporain qui a renoncé à créer, pour s’abandonner à la fascination de la vacuité, de l’abstraction. Mais l’art avait-il d’autres possibilités que de s’élancer sur le chemin de sa propre dématérialisation ? Non, pour Hegel : c’est même son destin !

 

  • S’il est une question qui hante l’art contemporain, c’est bien celle du vide, du rien, de la dématérialisation. Dès 1957, le peintre Yves Klein proposait, chez Colette Allendy, une première « exposition vide » – d’autres suivront. À l’étage de la galerie… une salle vierge, un espace vide. Rien à voir. Seulement des « surfaces et blocs », des « intentions picturales » irréalisées. Klein donnait, en quelque sorte, à voir le geste même d’exposer, de montrer l’œuvre. Comme si l’art tenait, essentiellement, de ce mouvement indiquant où il se montre.
  • La démarche de Salvatore Garau n’est pas, sans doute, la même. C’est bien une « œuvre » que présente le peintre italien, non un espace. Une œuvre vide, qui ne contient rien que de l’air et qui, pourtant, n’est pas rien. « Je suis » : tel est le nom de cette sculpture de néant. L’air n’est pas rien, dira-t-on certainement. Mais pour l’artiste, elle est, en tout cas, du discours… puisque l’œuvre continuerait d’exister même si elle était réellement vide d’un point de vue physique : « Le vide n’est rien de plus qu’un espace plein d’énergie et même si nous le vidons, selon le principe d’incertitude de Heisenberg, le vide a un poids. Par conséquent, il a une énergie, qui se condense et se transforme en particules. » Cette évocation d’un être aux confins du non-être illustre combien l’art contemporain est fasciné par les limites de sa propre dématérialisation, par la frontière ultime d’une désincarnation qui ne peut, pourtant, être totale : car si l’œuvre n’était pas encore un peu, elle se résumerait au seul geste de monstration.
  • Cette tendance donnerait raison à l’histoire de l’art que déploie Hegel dans son Esthétique (1835). À ses yeux, l’art « ne peut employer la matière pesante telle qu’elle existe avec ses trois dimensions », il doit « spiritualiser cette matière ». L’art est un « effort pour se spiritualiser ; [il] n’atteign[e] pas à leur but », parce que l’œuvre demeure, toujours, tributaire de la matière dont elle cherche à s’affranchir. « Mais [il] l’entrevoi[t] et y aspir[e] ». L’art cherche à percer l’opacité de la matière, à la rendre transparente à l’esprit.
  • L’histoire de l’art est, pour Hegel, rythmée par cette dématérialisation. L’architecture des Égyptiens, encore plongé dans l’obscurité de la matière inerte, laisse peu à peu la place à la sculpture des Grecs, la représentation du corps vivant, animé. Celle-ci est bientôt supplantée par la peinture, l’art de la lumière, du vaporeux, de l’éclat aussi fugace qu’insaisissable. La musique, enfin, marque le sommet de ce mouvement de dématérialisation, d’abstraction. « Le son est une extériorisation qui, à peine née, se trouve abolie par le fait même de son être-là et disparaît d’elle-même. […] Les sons ne trouvent leur écho qu’au plus profond de l’âme, atteinte et remuée dans sa subjectivité idéelle. »
  • Mais, au-delà de cette succession des arts, chacun d’entre eux est travaillé, de manière interne, par le même mouvement d’affranchissement à l’égard de la matière. La sculpture, désormais, se met à sculpter du rien – de l’air. Ce n’est pas un hasard, sans doute, si la manière par excellence dont l’air atteste sa présence infinitésimale, c’est la vibration des sons dont parle Hegel ! Est-ce encore de l’art ? La question mérite, certainement, d’être posée. Hegel, en tout cas, y verrait certainement le signe que l’art a épuisé toutes ses possibilités. De quoi donner raison à Yves Michaud – ou à tout le moins y voir une illustration frappante de sa thèse – qui, dans L’Art à l’état gazeux (Stock, 2003), dénonçait il y a déjà bientôt vingt ans les dérives d’une certaine postmodernité artistique. Celle-là même qui, en lieu et place d’œuvres « sonnantes et trébuchantes », à la substance riche et polysémique, produit soit de l’esthétique pure (qui est artistiquement insignifiante), soit du pur support théorique. Avec Salvatore Garau, nous nous retrouvons donc face à un art contemporain qui, faute de matière réelle, ne se réduit plus qu’à du discours sur l’esthétique… pour ne pas dire du vide.
Pour aller plus loin : quand l’image se vide de son sens, avec Annie Le Brun
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