L'amour

publié le 3 min

Malgré les aspirations des amants à l’absolu, le sentiment amoureux n’est jamais tout à fait pur ni désintéressé. Chacun aime comme il peut…

 

Si quand on aime on ne compte pas, alors il est rare d’aimer. Qui aime sans calcul ? Inconditionnellement ? Sans dépendre de celle ou de celui qu’il aime ? Quel amoureux n’emprunte aucune qualité ? Que reste-t-il de l’amour quand on enlève le fatras des mauvaises raisons qu’il se donne ? Quel est l’amour qui ne relève ni du narcissisme, ni du désir mimétique, ni de la peur d’être seul, ni d’un tempérament de tyran, ni d’une ruse de l’espèce pour garantir sa perpétuation ?

« Non, vous ne m’aimez point comme il faut que l’on aime », dit Célimène à Alceste, dont « l’ardeur extrême », l’amour sans partage, idéal et donc maussade, ne vaut à l’aimée que des insultes. Mais comment devrait-il faire ? Quel amour n’est pas souillé par l’amour-propre, gangrené par l’idéal ? Comment un homme qui se déteste lui-même pourrait-il aimer autre chose que son contraire ? Comment Alceste, dont la vanité est à la mesure de la haine qu’il se porte, pourrait-il aimer sans haïr ni maltraiter, ni demander à celle qu’il aime de rompre tout commerce avec le monde ? Alceste aimerait-il Célimène si elle ne le décevait pas ? Quel plaisir trouverait-il en sa compagnie si elle ne lui donnait aucune raison de se plaindre ? Quel intérêt le misanthrope trouverait-il à la mondaine, s’il ne trouvait précisément son intérêt dans un amour maladif ? Si Alceste avait à aimer Célimène comme il « faudrait qu’il l’aime », c’est-à-dire indépendamment de lui-même, alors il ne l’aimerait pas. En demandant à être aimée pour elle-même – autrement dit : malgré ce qu’elle est –, en réclamant qu’on l’aime sans la juger, la coquette n’a pas moins que son amant le goût de l’absolu. Or, n’en déplaise à Célimène, aucun amour n’est déraisonnable, surtout s’il est exclusif : on aime comme on peut, avec les moyens du bord, et parce qu’on en a besoin.

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