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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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© Marcel Hartmann

“Un amour qui ne finit pas”: un boulevard psychotique

Cédric Enjalbert publié le 21 mai 2015 5 min
Michel Fau a le goût des fantaisies baroques. Après un “Dardanus” remarqué à l’Opéra de Bordeaux, il monte avec humour et mordant “Un amour qui ne finit pas”, au Théâtre de L’Œuvre, à Paris. Dans ce mélodrame allègre et vertigineux d’André Roussin, on débat vivement des modalités de l’amour, sans trop de portes qui claquent, mais avec des répliques qui portent.

« L’art doit toujours faire rire et faire peur. » De cet aphorisme emprunté à Dubuffet, Michel Fau a fait une ligne de conduite, l’une des rares à laquelle s’oblige l’acteur baroque, amateur des formes irrégulières –comme on dit des perles difformes et des conduites hors-la-loi. Après avoir monté l’inquiétant Demain il fera jour de Montherlant, le flamboyant Dardanus à l’opéra, le voici repêchant parmi les inconnus célèbres un certain André Roussin (1911-1987) et sa pièce Un amour qui ne finit pas, présentée actuellement au Théâtre de l’Œuvre.

Jouée aux quatre coins du globe durant les Trente glorieuses, cette star de la scène de l’après-guerre habitué d’Au théâtre ce soir, n’évoque plus grand-chose à plus grand monde. Et pourtant, ce « boulevardier romantique » n’est pas un niaiseux ; plutôt un puissant dramaturge à la plume qui gratte. Avec son nom d’oiseau, évoquant le piquant de l’oursin et le mordant du requin, il écrit, penché au plus près des questions qui dérangent, avec une acuité psychologique certaine, de l’ironie et un sadisme délicieux.

André Roussin réussit ce tour de passe-passe digne des grands rhéteurs de nous faire acquiescer simultanément, dans une expérience de spectateur schizophrène, à une succession de propositions contradictoires, à nous identifier à une suite de personnages contraires. De cette inquiétante familiarité avec chacun et contre tous naît le sentiment curieux d’être pris dans les filets du dramaturge, à son jeu. Au nôtre ? C’est bien possible. Car André Roussin n’a rien du rétrograde ; les questions qu’il pose réveillent l’inconscient de l’époque, remuent nos scrupules ; il fait dans le boulevard qui grince.

« Est-il seulement concevable d’aimer sans espérer être aimé en retour, ou craindre de l’être? »

Que serait un amour sans fin et sans tromperies, heureux et sans enjeux, idéal en somme ? Disons, un amour religieux, qui ne demande rien en retour. Pour les amants faits de cette étoffe, il y a bien Dieu… Mais, en 1963, à la création de la pièce, comme en 2015, de Dieu, il ne reste plus grand chose. Et de l’amour ? Dans une ère individualiste, voilà bien l’affaire. Pour Jean, interprété par Michel Fau, malicieux et lunaire, les amourettes passagères comme le mariage bourgeois ne suffisent plus. Il lui faut l’amour de haut vol, libre et qui dure, délié des prosaïsmes du couple comme de l’adultère. Il propose donc à une jeune femme (Pascale Arbillot), rencontrée sur le pouce, de l’aimer sans retour, platoniquement et plus encore : idolâtrement. « Un amour total de ma part sans aucune participation de la vôtre justement, dit-il. Je veux vivre enfin un amour qui ne finisse pas : où il n’y ait pas une femme à obtenir et dont on regrette ensuite qu’elle se soit laissée prendre. » Mais est-il seulement concevable d’aimer sans espérer être aimé en retour, ou craindre de l’être ? Peut-on aimer en solitaire ? Vous avez une heure et quarante minutes.



Léa Drucker et Michel Fau dans Un amour qui ne finit pas © Marcel Hartmann

Le temps d’une pièce en un prologue, deux actes et un épilogue. Le temps qu’il faut à André Roussin pour armer son coup de théâtre métaphysique et à Michel Fau pour le déclencher, chaque soir. Entouré d’une fière bande ludique, constituée de Léa Drucker, de Pascale Arbillot et de Pierre Cassignard, il arbore un pessimisme heureux et distingué, porté haut dans un décor raffiné, fait d’une alternance de noir et blanc très sixties. Avec André Roussin en bandoulière, Michel Fau désarme les grandes théories, remet sur le tapis les mesquineries grandioses et les vérités révoltantes. Il nie, tel Arthur Schopenhauer qu’on sent lointain épigone de l’auteur, que les événements tragiques soient tristes. Il rappelle plutôt avec lui combien ils sont affreusement banals et parfois burlesques. Pour Schopenhauer, qui a fait le tour de l’amour, « se marier, cela veut dire faire tout ce qui est possible pour devenir un objet de dégoût l’un pour l’autre. »

« L'amour, c’est l’ennemi. [...] Il n’a qu’une pensée, pensée positive et sans poésie, c’est la durée du genre humain »

Arthur Schopenhauer

Jean, l’industriel en caoutchouc industrieux en amour, a bien intégré la leçon du maître philosophe. Mieux, il s’imagine même avoir dépassé ce stade humain, trop humain, en défiant les illusions amoureuses pour n’en conserver que l’absolu. « L'amour, c’est l’ennemi, écrit Schopenhauer. Faites-en, si cela vous convient, un luxe et un passe-temps, traitez-le en artiste ; le Génie de l’espèce est un industriel qui ne veut que produire. Il n’a qu’une pensée, pensée positive et sans poésie, c’est la durée du genre humain. »

L’amour se trouve en contradiction trop flagrante « avec l’individualité propre, en se portant sur des femmes qui, abstraction faite des rapports sexuels, seraient un objet de haine, de mépris, d’horreur même pour l’amant. Mais la volonté de l’espèce est tellement supérieure à celle de l’individu que l’amant ferme les yeux sur toutes ces qualités contraires à son goût, qu’il passe sur tout et ne veut rien connaître, pour s’unir à jamais avec l’objet de sa passion », poursuit-il. Jean, poète auteur de lettres aussi romantiques que platoniques envoyées à l’amante chaque jour, le sait. L’outrecuidant croit avoir surmonté ces passions minuscules raillées par l’auteur du Monde comme volonté et comme représentation, et pourtant...

André Roussin pas plus que Michel Fau ne donnent de leçon. On apprend toutefois, en riant et en guise de dénouement, que cet amour sans ses oripeaux – mesquinerie, excès, mensonges, jalousie, bassesses, illusions – n’est rien qu’un fantoche ; qu’il n’est aucune clé de l’amour idéal, ni aucun artifice pour échapper aux ruses de la nature ; qu’aucun dandy romantique et individualiste, si égoïste soit-il, ne peut prendre le risque d’aimer sans prendre celui d’être aimé en retour.

Dans un épilogue, supprimé dans les années 1970 par souci de bienséance et réintégré dans cette nouvelle version, Jean l’esthète séducteur est finalement pris à son propre jeu d’amant sans amour, d’amoureux immaculé lorsqu’un homme un peu précieux l’asticote à la toute fin et lui propose à son tour un amour univoque. Jean prend ses jambes à son cou, sans que l’on sache ce qui lui fait le plus peur : d’être aimé sans retour, de l’être par un homme ou de risquer d’aimer à son tour. 

Informations
Un amour qui ne finit pas
d'André Roussin
 
Mise en scène de Michel Fau, assisté de Damien Lefèvre
 
Avec:
Léa Drucker
Pascale Arbillot
Pierre Cassignard
Michel Fau
Audrey Langle
et la participation de Philippe Etesse
 
Décors de Bernard Fau
Costumes de David Belugou
Lumière de Joël Fabing
Maquillage de Pascale Fau
 
Production Théâtre de l'Oeuvre, Théâtre Montansier Versailles et Laura Pels
 
Théâtre de l'Oeuvre
55, rue de Clichy - 75009 Paris
01 44 53 88 88
 
Jusqu’en juillet 2015

 

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