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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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© Maël Balland/Unsplash

L’âme des algues

Octave Larmagnac-Matheron publié le 04 mai 2023 4 min

Le week-end dernier, profitant du lundi férié, Octave Larmagnac-Matheron a pris les voiles (enfin, la voiture) pour Porspoder, aux confins du Finistère nord, où une amie de sa mère fêtait ses soixante ans. 600 kilomètres aller, 600 kilomètres retour : pour trois jours, la route parcourue peut sembler considérable. Mais elle en valait la peine.

 

« D’anses en promontoires rocheux, c’est un littoral minéral, âpre et déchiqueté, qui se dévoile à mesure que l’on progresse le long du sentier des douaniers. Un peu partout, cependant, jusque dans les anfractuosités les plus inhospitalières, la végétation printanière abonde. Elle n’embaume pas encore la grève avec cette odeur forte, typique des dunes, qui émane l’été des immortelles échauffées au soleil. L’on devine néanmoins, diffus, ce bouquet aromatique singulier, salin et végétal, si propre aux côtes du Ponant.

Le dictyoptérène des algues brunes participe bien entendu de cette alchimie olfactive. Découvertes sur les plages à marée basse, les lianes marines font irruption dans un monde aérien qui leur demeure étranger alors même que c’est à des micro-algues, premiers organismes photosynthétiques, que nous devons la formation d’une atmosphère oxygénée sans laquelle la vie n’aurait pu conquérir la terre. C’est par le nez plus encore que par les yeux que nous éprouvons le foisonnement de cet autre monde végétal, dissimulé, dont la senteur annonce, au loin déjà, l’océan. Sous la mer, il est des champs, des forêts de plantes étranges dont l’allure, fort différente de celle des végétaux terrestres, suscite une certaine méfiance – et l’odeur, une certaine répulsion. Cette vie primitive et exubérante cachée sous les eaux méconnaît la loi régulatrice de la gravité, qui confère aux végétaux terrestre leur étirement axial entre ciel et terre. “Les groupes végétaux inférieurs, qui vivent souvent encore dans l’eau […], consistent en un tapis uniforme non structuré en tige et en feuilles, qui se ramifie de manière plus ou moins anarchique”, note Hedwig Conrad-Martius (1888-1966) dans Die “Seele” der Pflanze (“L’âme des plantes”, 1934). L’algue molle, brassée par les flots, évoque le mélange, l’indifférenciation – l’on parle d’ailleurs, sans distinction d’espèces, de goémon pour désigner ces écheveaux végétaux. Le mot lui-même, alga, dérive peut-être du latin ligo, “lier”.

Depuis longtemps, les gens de la région ont tenté d’apprivoiser cet autre monde. Le varech est utilisé au moins depuis le Moyen Âge comme engrais pour l’agriculture, comme aliment pour les vaches et comme combustible. À partir du XVIIe siècle, les usages industriels se développent : les goémons sont brûlés dans des fours en pierre toujours visibles de long du chemin côtier, pour servir à la fabrication du verre ou du savon. Les usages se multiplient avec la révolution industrielle : les “pains de soude” issus de la combustion sont recherchés par les industries pharmaceutique et photographique. Porspoder compte bientôt 150 navires spécialisés. Émile Zola évoque, dans La Joie de vivre (1884), cet emballement pour la filière du goémon : Lazare, l’un des protagonistes, se lance dans “une grande exploitation sur les algues marines”. “La mer est un vaste réservoir de composés chimiques, les algues travaillaient pour l’industrie, en condensant, dans leurs tissus, les sels que les eaux où elles vivent contiennent en faible proportion. Aussi le problème consistait-il à extraire économiquement de ces algues tous les composés utiles.”

Le projet de “moisson immense d’herbes marines” se soldera par un “désastre”. Hors de la fiction également, la filière goémonière connaîtra le déclin à partir des années 1960. Au terme de la pérégrination centripète qui nous conduit vers Lanildut, à l’embouchure de l’Aber un peu plus au sud, on constate cependant que l’industrie n’a pas disparu : la ville est aujourd’hui le premier port goémonier d’Europe, avec 35 000 tonnes d’algues récoltées chaque année. Culinaires ou cosmétiques, les usages se sont diversifiés, et les procédés de “cueillette” modernisés. Gagnant en rentabilité, l’activité met désormais en péril la survie d’un “jardin d’Éden amphibie peuplé d’algues uniques au monde”, selon les mots de l’écrivain Yann Queffélec, qui dénonce les “merveilles de la technique déprédatrice” introduites par des entrepreneurs convaincus que “personne n’irait jamais voir ce qu’il advenait de la mer défigurée […] On a tondu les sirènes ondoyantes, extirpé du flot les rutilantes chevelures de la mer océane.” Les algues ont tout de même droit à leur petit musée, à Lanildut. Mais il faudra sans doute davantage pour développer des manières de faire assurant la pérennité des échanges métaboliques de la terre et de la mer qui, depuis des siècles, enjambent le litige abrupt des éléments. »

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