Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

Alors que Donald Trump est bien parti pour se présenter à l’élection présidentielle, Joe Biden s’oppose dorénavant à lui comme à “une menace existentielle” pour la démocratie américaine. © Chop Somodevilla/AFP

L’âge des menaces existentielles

Martin Legros publié le 09 janvier 2024 4 min

« Du réchauffement climatique à la guerre en Ukraine ou au Proche-Orient, en passant par les dangers de l’intelligence artificielle, nous ne cessons d’entendre dire, de la bouche des acteurs eux-mêmes, que nous serions confrontés à des menaces existentielles qui mettent en jeu l’avenir même… de l’humanité, de l’Europe ou de la démocratie. Mais que veulent dire précisément ceux qui utilisent cette notion ? Et ces menaces ont-elles un lien avec la question existentielle au sens philosophique du terme ?

“Nous sommes confrontés à une menace existentielle directe”, affirmait en 2018 le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies António Guterres, à propos du changement climatique. Cinq ans plus tard, au lendemain de l’attaque du Hamas contre Israël, le Premier ministre Benyamin Netanyahou annonce vouloir détruire la menace que l’organisation fait planer sur “l’existence” de l’État hébreu – son ministre de la guerre précisant qu’il s’agit là d’“une nécessité existentielle”. De son côté, le ministre palestinien des Affaires étrangères dénonçant à l’ONU l’offensive lancée par l’armée israélienne sur la bande de Gaza au prix d’un nombre de victimes et d’un exode sans précédent, déclare que son “peuple fait face à une menace existentielle”. Plus tôt dans l’année, Vladimir Poutine est allé jusqu’à faire de l’Occident lui-même une “menace existentielle” pour la Russie, du fait de son soutien à l’Ukraine. Enfin, aux États-Unis, alors que Donald Trump est bien parti pour se présenter à l’élection présidentielle américaine en dépit de sa participation à l’assaut contre le Capitole, Joe Biden s’oppose dorénavant à lui comme à “une menace existentielle” pour la démocratie américaine. Dans un autre domaine, l’un des pères de l’intelligence artificielle, Yoshua Bengio, redoute la “menace existentielle” d’une nouvelle espèce “tellement intelligente qu’elle nous regardera comme des grenouilles”…

➤ Recevez la newsletter quotidienne et gratuite de Philosophie magazine dans votre boîte mail. Et pour profiter de tous nos articles, choisissez l’offre d’abonnement payante qui vous convient le mieux.

Multiples et contradictoires, ces occurrences répétées de la notion de “menace existentielle” m’intriguent. Que veulent dire ces acteurs lorsqu’ils invoquent une menace mettant en jeu l’existence de l’entité collective – humanité, peuple, nation, démocratie… – dont ils ont la charge ? Pour une collectivité comme pour une personne, une menace existentielle met en péril sa propre survie, et elle doit se préparer à engager contre elle toutes ses forces. Mais c’est aussi une menace qui exige de clarifier les valeurs qui sont les nôtres, le sens ou le but de notre aventure, tout en démontrant que nous sommes prêts à nous engager pour en assurer la pérennité. Cette menace a donc une portée éthique et philosophique qui résonne avec la question première du sens de l’existence pour l’individu. Pour Albert Camus, c’est quand je découvre, face à l’absurdité ou à l’étrangeté du monde, que rien ne me porte dans l’existence – si ce n’est ma révolte contre un monde déraisonnable – que ma vie et ma liberté prennent sens. Et pour Martin Heidegger, c’est dans la confrontation angoissée avec la possibilité de sa propre mort, que l’individu est capable de se décider de manière résolue pour lui-même. Une différence capitale existe, cependant, avec la crise existentielle collective : celle-ci s’opère parmi d’autres, dans un monde pluriel et conflictuel, là où l’individu a seul la charge de définir le sens de sa vie.

En théorie des relations internationales, l’École de Copenhague définit la sécurité existentielle d’une nation à partir de critères aussi bien éthiques que militaires. Arnold Wolfers, l’un de ses représentants, affirme ainsi que “la sécurité, dans un sens objectif, mesure l’absence de menaces sur les valeurs centrales ou, dans un sens subjectif, l’absence de peur que ces valeurs centrales ne fassent l’objet d’une attaque”. Mais ces théoriciens précisent que la détermination d’une menace existentielle dans le champ de la politique international est un acte de langage intersubjectif : “Il s’agit de désigner une menace à la survie et de la faire reconnaître comme telle permettant ainsi de la traiter par des mesures urgentes et exceptionnelles.”

C’est là où l’inflation de la notion de “menace existentielle” dans l’espace public contemporain mérite d’être interrogée. Dans nombre de ses déclinaisons, la dramatisation existentielle des menaces emprunte la forme d’une confrontation avec un ennemi ou un danger radical avec lequel aucune compromission n’est plus possible. Tous les moyens sont bons, puisqu’il s’agit d’être ou de ne pas être. Et il faut faire corps avec sa communauté et son chef, sans s’opposer, puisqu’il s’agit d’eux ou de nous…

Plus que chez Camus, lors de la confrontation finalement heureuse de Sisyphe avec l’absurdité du monde, ce serait alors chez le sulfureux Carl Schmitt qu’il faudrait aller chercher le secret inspirateur de la rhétorique de notre temps. Le philosophe définissait en effet la politique par la lutte “au sens original et existentiel” avec un ennemi irréductible qui cherche à me détruire. “Ce n’est pas une simple concurrence, précisait-il dans La Notion de politique (1932), ni la lutte purement intellectuelle de la discussion, ni la lutte symbolique dans laquelle finalement chaque homme est de quelque manière engagé à tout instant […]. La guerre naît de l’hostilité, celle-ci étant la négation existentielle d’un autre être.” Et il ajoutait que le “souverain” est précisément celui qui est capable par sa décision de souder une communauté contre le danger existentiel qui la menace…

Si les menaces existentielles ne sont pas toutes imaginaires, soyons donc vigilants à ne pas nous laisser abuser par la rhétorique décisionniste qui, loin de les résoudre, risque de nous précipiter dans l’abîme d’une lutte à mort, faisant fi de toute norme et de toute mesure. »

Expresso : les parcours interactifs
Aimer sa moitié avec le Banquet
On dit parfois que la personne aimée est « notre moitié », celui ou celle qui nous complète. L'expression pourrait trouver son origine dans le mythe des androgynes, raconté dans le Banquet de Platon ! Découvrez ce récit fascinant.
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Article
5 min
“La notion de politique” de Carl Schmitt : vers la guerre perpétuelle ?
Nicolas Tenaillon 30 mars 2022

Cet ouvrage, écrit par un philosophe gravement compromis dans le nazisme, est pourtant resté un classique. C’est que Carl Schmitt cherche à…

“La notion de politique” de Carl Schmitt : vers la guerre perpétuelle ?

Article
4 min
L’œuvre au noir de Martin Heidegger
Octave Larmagnac-Matheron 29 avril 2021

Le troisième volume des « cahiers noirs » de Martin Heidegger paraît aujourd’hui. Dans ces cahiers XII à XV, on découvre un penseur…

L’œuvre au noir de Martin Heidegger

Article
10 min
Jiang Shigong, le penseur qui inspire Pékin
Nicolas Gastineau 27 septembre 2021

Ce juriste et philosophe chinois, professeur dans la prestigieuse école de droit de l’université de Pékin, est un ardent défenseur de la ligne…

Jiang Shigong, le penseur qui inspire Pékin

Article
5 min
Poutine est-il un dictateur, un despote ou un tyran ?
Nicolas Tenaillon 16 mars 2022

Depuis l’invasion de l’Ukraine, les responsables politiques et les commentateurs rivalisent de termes pour désigner le caractère non-démocratique…

Poutine est-il un dictateur, un despote ou un tyran ?

Article
4 min
La vérité, arme secrète de la démocratie ?
Frédéric Manzini 05 avril 2022

Chacun s’accorde à admettre que l’exercice du jugement politique a besoin d’informations objectives et vraies pour pouvoir bien s’exercer. Mais,…

La vérité, arme secrète de la démocratie ?

Bac philo
2 min
L’existence et le temps
Nicolas Tenaillon 01 août 2012

L’existence, c’est le fait d’être. Elle se distingue de l’essence qui désigne ce qu’une chose est. À l’exception de Dieu dont l’existence est éternelle, le propre de l’existence est d’être finie, limitée dans le temps. L’existence s…


Article
2 min
Albert Camus, la pensée révoltée
26 mars 2013

Albert Camus est à l’honneur dans ce hors-série de Philosophie magazine, qui s’ouvre avec l’absurde de la condition humaine, se poursuit avec un…

Albert Camus, la pensée révoltée

Article
4 min
“Mon cher petit…” L’émouvante correspondance entre Camus et son instituteur, Louis Germain
Arthur Hannoun 25 mars 2022

Albert Camus a adressé son discours de réception du prix Nobel de littérature à son instituteur, Louis Germain (1884-1966). Leur correspondance,…

“Mon cher petit…” L’émouvante correspondance entre Camus et son instituteur, Louis Germain

À Lire aussi
Une petite histoire de la philosophie: “Rousseau et la différence entre l’homme et l’animal”
Une petite histoire de la philosophie: “Rousseau et la différence entre l’homme et l’animal”
janvier 2023
Conférence de Martin Legros au Théâtre de l’Œuvre à Marseille le 20 octobre
Conférence de Martin Legros au Théâtre de l’Œuvre à Marseille le 20 octobre
octobre 2023
Raphaël Enthoven et la pensée révoltée d'Albert Camus
avril 2014
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. L’âge des menaces existentielles
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse