Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

Série BLow Up Funchal. Ile de Madère. Portugal Détail de carte postale vintage, 2022. (Détail) © Patrick Tourneboeuf/Tendance Floue

Réforme des retraites

La vraie vie commence-t-elle à la retraite ?

Clara Degiovanni publié le 31 janvier 2023 5 min

« Jusque-là, je n’avais pas vécu », affirmait en 1979 un vieux monsieur dans cette vidéo de l’INA, très partagée sur les réseaux sociaux, à propos des joies de la retraite. Mais ne commence-t-on à vivre qu’au moment de la retraite ? L'avis de Cicéron, Marx et Arendt.


Cicéron : en partie, car la vieillesse recèle des trésors cachés

« Tout le monde souhaite atteindre la vieillesse, mais on la rejette quand on y est » : c'est le constat que fait (déjà !) Cicéron au Ier siècle avant J.-C. Dans son petit dialogue De la vieillesse, le philosophe et orateur vieillissant s’applique à démonter quatre arguments qui nous font habituellement préférer la jeunesse à la vieillesse : l’exclusion de la vie active, la perte d’énergie, la privation des plaisirs et la proximité de la mort. « La raison de ce type de plaintes se trouve dans la façon de vivre, non dans l’âge, assure Cicéron. Car des vieillards raisonnables, ni revêches ni inhumains, mènent une vieillesse supportable ; au contraire, la brutalité et l’inhumanité sont pénibles pour tout âge. »

Non seulement la vieillesse apporte une forme de modération qui permet à l’âme d’être plus apaisée, mais elle recèle des trésors cachés que l’on ne peut atteindre plus jeune. Le temps est notre allié, notamment pour tout ce qui a trait à la vie de l'esprit : « Les armes les mieux adaptées de la vieillesse, ce sont les connaissances et la pratique des vertus qui, quand on a vécu longtemps et pleinement, produisent des fruits merveilleux : la conscience d’avoir bien mené sa vie et le souvenir d’avoir bien agi sont très agréables. »

Cicéron prend pour exemple des « vieillards » qui ont vécu leurs années les plus créatives sur le tard : Platon, Sophocle, Homère et Hésiode. Le grand âge apporte ainsi une forme de joie intellectuelle, mais aussi d’« autorité », signe d’une vie menée avec droiture et esprit de responsabilité. Autorité qui suppose qu’en miroir, la jeunesse joue pour ainsi dire le jeu et accepte de ne pas être la génération la plus digne de respect : « La vieillesse est plus légère à ceux qui sont respectés et appréciés par la jeunesse. » En somme, il ne sert à rien de se hâter de vivre ni de s’épuiser à la tâche. Tant que nous ne sommes pas dans une « extrême pauvreté », assure Cicéron, l’âge mûr est bien celui où nous pouvons être le plus épanouis. 

Marx : oui, mais seulement parce que notre travail est aliénant

À l’époque où Karl Marx écrit, une nouvelle forme de labeur a fait son apparition. L’industrie a créé un nouveau rapport au travail, plus mécanique, froid et ardu. Cette forme de labeur caractérisée par l’exploitation des travailleurs, effectuant des tâches répétitives pour un salaire de misère, abîme la vie au lieu de la réaliser pleinement. Et pour cause : l’ouvrier ne travaille pas pour lui, mais pour un autre, le capitaliste. Le fruit de son travail lui est en partie volé, puisque la plus-value qu’il a créée par son activité propre ne lui revient pas.

Le capitaliste empêche ainsi le travailleur de se reconnaître dans sa principale activité : l’ouvrier devient littéralement étranger à soi-même, aliéné : « L'ouvrier qui, douze heures durant, tisse, file, perce, tourne, bâtit […], regarde-t-il ces douze heures de tissage, de filage, de perçage, de travail au tour ou de maçonnerie, […] comme une manifestation de sa vie, comme sa vie ? », se demande-t-il dans Travail salarié et Capital. « Bien au contraire », car « la vie commence pour lui où cesse cette activité, à table, à l'auberge, au lit ». Dans un monde capitaliste, le travail et la vie s’excluent l’un l’autre.

Toutefois, si le travail déshumanise, c’est son organisation pratique qui est en cause et pas l’idée même de travail. Car chez Marx, le travail peut aussi être intéressant, voire libérateur. Dans ses Manuscrits de 1844, il définit en effet le travail comme « l’autogénèse de l’homme », le fait de donner une forme à son existence. Une société véritablement communiste n’est pas une société d’oisiveté, au contraire ! Chacun travail en fonction de ses besoins, de ses aptitudes et de ses goûts singuliers. Le travail permet à l’être humain d’exercer ses facultés physiques et intellectuelles, de coopérer avec ses pairs et d’obtenir une forme de reconnaissance. Mais par définition, un tel travail désaliéné ne peut exister dans une société fondée sur la concurrence économique, y compris des travailleurs entre eux, et la recherche du profit.

Arendt : non, car un retraité riche peut avoir une vie très pauvre 

Imaginons désormais un monde où un retraité peut encore prendre sa retraite à taux plein à 60 ans et avec une belle pension. Il est riche, en bonne santé, et il a la vie devant lui. Cette situation lui permet-elle de vivre une vie pleine et accomplie ? Sa retraite marque-t-elle le début d’une existence palpitante ? Pas forcément, répondrait Hannah Arendt, surtout si ce retraité évolue dans une société de consommation semblable à la nôtre. Un phénomène dramatique peut venir ternir sa retraite : il est tellement habitué à travailler qu’il se met à dépenser toute « sa force » restante en nouvelle « force de travail ». Comment ? En consommant tout et n’importe quoi.

Le néo-retraité fringuant se met à acheter des choses, à pratiquer des loisirs, à chercher frénétiquement à travers la vie matérielle une manière d’occuper son temps. Par sa frénésie même, il trouve un repos finalement peu qualitatif, toujours obsédé à l’idée de devoir combler un vide et de rester, d’une manière ou d’une autre, inscrit dans un système productif. Les retraités appartiennent en ce sens à une humanité certes « libérée des entraves de l’effort », mais qui demeure par là même « libre de consommer le monde entier », écrit Arendt dans la Condition de l’homme moderne (1958). Selon la philosophe, cette fausse liberté consumériste a quelque chose de dévorant.

Pour Arendt, une vie pleine et entière est une vie d’action, de discussions, de mise en lien avec les autres, non une vie d’achats et de loisirs. Là où l’existence sociale nous libère, la vie consumériste nous aliène. Pour commencer véritablement une belle vie au moment de la retraite, il faut donc apprendre à se détacher de cette volonté vorace de surconsommer pour se tourner vers les autres, vers le monde associatif, mais aussi vers l’art ou la lecture : vers toutes les activités qui ne sont pas vitales, mais qui contribuent à nous relier au monde et aux autres. Un mouvement difficile à amorcer dans un monde ou les personnes âgées sont intégrées dans les stratégies d’une « silver economy » toujours plus rodée, car de plus en plus lucrative.

Qu’en conclure ?

Pour penser une retraite joyeuse, il faut donc aussi s’atteler à poser des conditions de travail justes et acceptables. Le débat autour de la retraite ne va pas sans une réflexion sur notre manière d’envisager la place qu’occupe notre activité laborieuse dans notre existence. Une belle retraite doit venir couronner une vie active sereine, non tenter – sans y parvenir – de compenser les maux d’une existence laborieuse, éreintante et aliénée. Sinon, ce n’est pas une « vraie » vie.

 

Expresso : les parcours interactifs
Kant et le devoir
Au quotidien, qu’est-ce que ça veut dire d’agir moralement ? Et est-ce que c’est difficile de faire son devoir ? Ces questions ne sont pas anecdotiques pour quelqu’un qui souhaite s’orienter dans l’existence. Et, coup de chance : Emmanuel Kant y a répondu. 
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Article
3 min
[Exclusif] Hannah Arendt : “La cybernétique et la révolution du travail”
Hannah Arendt 05 octobre 2021

À l’occasion de la publication du Cahier de l’Herne consacré à Hannah Arendt et dirigé par Martine Leibovici et Aurore Mréjen, nous publions avec…

[Exclusif] Hannah Arendt : “La cybernétique et la révolution du travail”

Article
3 min
[Exclusif] Hannah Arendt : “Le délitement de l’autorité”
Hannah Arendt 04 octobre 2021

À l’occasion de la publication du Cahier de l’Herne consacré à Hannah Arendt et dirigé par Martine Leibovici et Aurore Mréjen, nous publions avec…

[Exclusif] Hannah Arendt : “Le délitement de l’autorité”

Article
4 min
[Exclusif] Hannah Arendt : “Avoir l’esprit politique, c’est se soucier davantage du monde que de nous-mêmes”
Hannah Arendt 07 octobre 2021

À l’occasion de la publication du Cahier de l’Herne consacré à Hannah Arendt et dirigé par Martine Leibovici et Aurore Mréjen, nous publions avec…

[Exclusif] Hannah Arendt : “Avoir l’esprit politique, c’est se soucier davantage du monde que de nous-mêmes”

Article
2 min
Anders-Arendt : scène de la vie conjugale
07 juillet 2022

Günther Anders le reconnaît, il n’est pas très loyal dans cette Bataille des cerises conçu comme un dialogue fictif avec Hannah Arendt, à laquelle il a été marié de 1929 à 1937. Il se donne le beau rôle, puisque ses Dialogues avec…


Article
9 min
Travail et paresse : un match vieux comme la gauche
Samuel Lacroix 20 septembre 2022

Les protestations se multiplient depuis que Fabien Roussel a cru bon d’opposer, lors de la Fête de l’Humanité, « gauche du travail …

Travail et paresse : un match vieux comme la gauche

Article
4 min
Mise à l’honneur au cinéma, qui était Eleanor Marx, la fille de Karl ?
Samuel Lacroix 04 mai 2022

Des enfants de Karl Marx, on connaît plutôt sa fille Laura, qui fut l’épouse de Paul Lafargue, l’auteur du fameux Droit à la paresse (1883)…

Mise à l’honneur au cinéma, qui était Eleanor Marx, la fille de Karl ?

Entretien
11 min
Susan Neiman : "La vraie préoccupation d’Arendt, c’est de trouver une possibilité de réflexion qui nous libère du mal"
Catherine Newmark 01 février 2023

La thèse de la « banalité du mal » est l’une des plus contestées de l’œuvre de Hannah Arendt. Pourtant, au-delà des réévaluations de la figure d’Eichmann suscitées par la recherche contemporaine, sa thèse demeure fertile pour la…


Article
10 min
“Manifeste du parti communiste”. Brûlot universel
Victorine de Oliveira 13 janvier 2022

Lorsque Karl Marx et Friedrich Engels se rencontrent, ils ne savent pas encore qu’ils vont écrire le texte qui incitera à dynamiter la société…

“Manifeste du parti communiste”. Brûlot universel

À Lire aussi
Hannah Arendt : et l’homme se métamorphosa en extra-terrestre…
Hannah Arendt : et l’homme se métamorphosa en extra-terrestre…
Par Michel Eltchaninoff
avril 2021
Leibovici et Mréjen : “Ne plus se sentir responsable de ce que l’on fait, voilà le ressort de la banalité du mal pour Arendt”
Leibovici et Mréjen : “Ne plus se sentir responsable de ce que l’on fait, voilà le ressort de la banalité du mal pour Arendt”
Par Martin Legros
octobre 2021
Raoul Peck. « La théorie de Marx n’est belle que si elle est incarnée »
Par Victorine de Oliveira
septembre 2017
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. La vraie vie commence-t-elle à la retraite ?
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse