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Depuis 17 jours, un troupeau d’une centaine de moutons tourne en rond en Mongolie intérieure (Chine). Capture d’écran de l’organe de presse chinois People’s Daily

Insolite

La ronde des moutons et la métaphysique du cercle

Octave Larmagnac-Matheron publié le 22 novembre 2022 4 min

Depuis 17 jours, un troupeau d’une centaine de moutons tourne en rond en Mongolie intérieure (Chine), sans que l’on parvienne à expliquer pourquoi. Une image à la fois insolite, inquiétante… et métaphysique.

 

  • Si les vidéos de ces moutons tournant en rond intriguent, elles suscitent également un certain sentiment d’inconfort. Quelque chose déraille, dans le comportement des ovins, qui consiste précisément à ne plus s’écarter du chemin, sur cette même piste déjà empruntée des centaines de fois. De tels mouvements n’ont rien d’habituel chez les moutons, et évoquent immédiatement la folie. La thèse de la contamination par la bactérie Listeria monocytogenes, qui affecte le système nerveux, a d’ailleurs été évoquée. Mais l’inconfort tient, peut-être plus fondamentalement encore, à la nature circulaire du mouvement accompli.
  • Ce mouvement qui tourne sans début et sans fin sur lui-même contredit le mouvement même de la vie, qui s’excède toujours elle-même et s’avance dans le milieu qui l’environne. Il existe certes des formes de circularité dans la vie : l’animal vit en partie enclos dans le cercle de ses instincts – et nous-mêmes, humains, vivons également dans le cercle de nos routines. Mais ces cercles sont imparfaits, poreux, fragiles, changeants. S’il est une règle du mouvement vivant, c’est une règle d’irrégularité, de tâtonnement qui se risque alentour sans savoir exactement où elle arrivera – au contraire du mouvement circulaire automatique tout entier contenu en lui-même, en chaque moment de son déploiement.
  • Le mouvement circulaire évoque la folie – celle des manies dansantes du Moyen Âge. Il évoque la pensée qui tourne à vide, qui se contente de suivre, sans recul, ce qui devant elle magnétise son attention. Or, ce qui se tient devant, c’est un encore mouton, qui en suit un autre, et ainsi de suite, dans une chaîne sans fin où tout le monde se laisse guider par un autre et au bout du compte par soi-même – puisque la ronde revient toujours à soi, une fois son cercle parcouru. Le guidé est guide, mais ne le sait pas. Il se guide lui-même mais n’a aucune prise sur lui-même, aucune possibilité de s’écarter du cercle, d’introduire un écart, de briser la roue du conformisme moutonnier.
  • Il est remarquable que ce symbole de folie qu’est le cercle soit également, depuis des temps fort anciens, symbole de son antonyme, la raison. Ne dit-on pas, d’ailleurs, de quelqu’un qui n’est pas tout à fait cohérent, qu’il « ne tourne pas rond » ? « Forme pleine, homogène, statique, parfaitement fermée sur soi, image de toute clôture ontologique – le cercle du Même », comme le qualifie le philosophe Alain Delaunay, est l’image de la connaissance qui revient à elle-même, qui s’assure d’elle-même, qui ressaisit ses prémisses depuis ses conclusions. De même que les différentes variantes d’un même concept, l’Ouroboros – le serpent qui se mord la queue –, constituent dans de nombreuses cultures le symbole du cycle immuable de la vie, de la nature et de l’éternité du monde (mais dont on ne peut s’extirper), le cercle est l’image du système auquel ont longtemps rêvé les philosophes : une connaissance totalisante, sans extériorité. Or cet idéal porte, comme inscrit en son sein, la marque d’une folie qui retrouve la folie aveugle de l’animal par le détour de la raison. Le système est toujours un peu idéologie : idée qui tourne en rond, qui alimente au mieux la bêtise, au pire les entreprises les plus meurtrières d’annihilation, d’anéantissement de la différence, de l’altérité.
  • L’idée qui tourne tente de conjurer une extériorité qu’elle est incapable d’extirper entièrement. C’est peut-être ce qui la rend folle. Quelque chose insiste, résiste et exacerbe son désir d’appropriation. Inscrit au coeur du Même, il y a « un vide, un abîme cachant en soi un chemin invisible, principe de toute ouverture de la “forme” sur la “non-forme” – le cercle de l’Autre ». Le cercle du système tourne autour de ce centre vide, inappropriable, sans le voir ; il gravite autour de ce point insaisissable, de cette béance qui le met en mouvement. Les mots se suivent, s’articulent, s’enchaînent comme des moutons à la queue leu leu qui ne regardent que le postérieur de celui qui les précède, et non le centre, la dimension, l’espace ouvert où se fraie leur chemin monomaniaque. C’est bien cette ouverture qui donne à penser, qui sollicite la pensée. Mais elle demeure indicible dans sa simplicité, dans son unité. Elle est comme l’assise ou le sol depuis lequel toute parole s’élance, et vers laquelle toute parole voudrait – en vain – revenir.
  • Les astres, eux aussi, tournent – les Grecs admiraient ce mouvement parfait. Mais ils ne se suivent pas. Leur tournoiement solitaire est orienté vers le centre. Il participe du déploiement du cosmos. Le vivant aussi participe de ce déploiement. Mais il y participe bien davantage sur le mode d’une séparation, d’un arrachement nécessaire à son individuation. Son existence, incertaine, tâtonnante, témoigne de cette déchirure… tout en conservant la trace nostalgique et douloureuse d’une appartenance perdue, et irrécupérable, à l’harmonie originelle. Peut-être est-ce là l’une des origines de la folie – ou de celle de quelques moutons égarés ?
À lire aussi : Giorgio Parisi, le Nobel des étourneaux
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