“La Reconnaissance”, de Axel Honneth
Digne héritier de ce courant de pensée critique de la société néolibérale qu’on appelle « l’École de Francfort », Axel Honneth est principalement connu pour sa théorie de la « reconnaissance ». Selon celle-ci, nos rapports sociaux sont principalement motivés par une recherche de reconnaissance sous toutes ses figures : des luttes sociales aux relations de couple, nous serions toujours en quête d’estime et de respect auxquels s’opposent l’indifférence et le mépris. Mais d’où vient cette idée de reconnaissance et comment s’est-elle construite ? Aujourd’hui paraît la traduction française de La Reconnaissance. Histoire européenne d’une idée (Gallimard, 2020) dans laquelle le philosophe retrace la genèse de cette notion, en distinguant trois grands foyers d’élaboration socio-culturelle que sont les contextes français, anglais et allemand. L’occasion pour Honneth d’apporter des nuances importantes sur les différentes manières de penser une reconnaissance à géométrie variable.
- La reconnaissance à la française : amour-propre et souci de considération sociale. Plus que Hobbes, c’est Rousseau qu’Axel Honneth considère comme le premier auteur à avoir « souligné le rôle éminent de la reconnaissance dans la vie sociale des humains », enracinée dans une société de l’Ancien Régime fondée sur la recherche des faveurs et des honneurs. À travers son concept d’amour-propre tiré de La Rochefoucauld, Rousseau montre que chacun veut paraître meilleur qu’il n’est, tout simplement parce qu’il se sait observé et jugé par les autres. Pourtant, en plus d’engendrer vanité et suffisance, un tel comportement est faussé et menace donc l’expression d’un « moi » personnel et authentique, lequel devient otage de la société. Pour caractériser ce qu’il considère comme la perspective française, et dont il voit le prolongement notamment chez Sartre et Althusser, Axel Honneth fonde donc la reconnaissance sur un rapport à soi.
- La recognition britannique comme inscription dans une communauté normative. Au contraire, la tradition écossaise puis anglaise pense positivement une société fondée sur une reconnaissance mutuelle. L’élaboration philosophique de la recognition viendrait d’un questionnement moral : sommes-nous foncièrement portés à la bienveillance ou agissons-nous pour des motifs profondément égoïstes ? Pour répondre à cette question, il faut justifier les jugements d’approbation ou de réprobation que nous portons les uns sur les autres. De Shaftesbury à John Stuart Mill en passant par Hume et Adam Smith, Axel Honneth montre que le souci de notre réputation nous pousse à vérifier que nos évaluations morales sont acceptables du point de vue d’un « observateur impartial », fictif mais représentatif des valeurs de la communauté dans laquelle nous voulons nous intégrer ; il en résulte une forme d’autocontrôle mise au service de l’intérêt général.
- L’Anerkennung allemande et l’autodétermination. Produit plus récent d’une société plus égalitaire, le concept d’Anerkennung mis en avant par l’idéalisme allemand (Kant, Fichte, Hegel) est d’une facture encore différente. Nul souci de reconnaissance sociale chez lui, parce qu’il est fondé sur le « sentiment de respect » : loin de procéder d’une demande pour soi-même, il est au contraire adressé à l’autre, pour lequel on accepte de limiter volontairement sa propre liberté et de borner ses intérêts parce qu’on le reconnaît comme un être lui-même libre et capable de se soumettre aux commandements moraux de la raison. Un tel paradigme de la reconnaissance et de l’intersubjectivité apparaît ainsi comme une condition de possibilité pour ce qu’Axel Honneth appelle « l’autodétermination rationnelle ».
- Trois expressions pour un seul concept ? En conclusion de cette histoire comparée, Axel Honneth se demande comment « ces trois modèles divergents de la reconnaissance pourraient […] être articulés l’un à l’autre, pour ne plus apparaître mutuellement exclusifs », et propose une synthèse autour de la conception hégélienne de la reconnaissance, en tant qu’elle est fondée sur l’idée de réciprocité.
La Reconnaissance. Histoire européenne d’une idée, par Axel Honneth, vient de paraître chez Gallimard et est disponible ici.
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