La périlleuse réappropriation culturelle de l’Himalaya par les sherpas
Le 16 janvier dernier, une expédition de dix alpinistes népalais a, pour la première fois de l’histoire, gravi en hiver le deuxième plus haut sommet du monde : le K2. Cette ascension historique, relatée avec émotion sur les réseaux sociaux, n’a pas seulement une dimension sportive : elle met en lumière le souci, pour les Népalais, de se réapproprier leurs sommets, d’abord conquis par des étrangers. Une forme de « réappropriation culturelle » toute symbolique… mais qui n’est pas sans charrier son lot de contradictions. Décryptage.
Ils sont dix. Dix alpinistes népalais devenus des héros dans leur pays. Le 16 janvier 2021, ils ont atteint ensemble, bras-dessus bras-dessous, le sommet du K2, la deuxième plus haute montagne du monde après l’Everest (8 611m contre 8 848m). C’est la première fois qu’une expédition parvient à gravir le K2 en hiver. Avec des vents pouvant avoisiner les 200 km/h, une température sommitale de -60°C et des pentes abruptes (jusqu’à 60%) recouvertes de glace, il était en effet réputé le plus difficile au monde.
Après des dizaines de tentatives infructueuses de la part d’alpinistes chevronnés venant du monde entier, ces dix Népalais ont donc fini par avoir raison de lui. Une ascension spectaculaire, qui permet également d’éclairer le concept de « réappropriation culturelle », tant ces Népalais ont mis en scène leur souci de marquer à leur tour, et de façon durable, ce pan d’histoire de leur pays qu’est l’alpinisme.
L’alpinisme : Blancs sur blanc
L’alpinisme est, peut-être plus qu’aucun autre sport, confronté dès ses débuts à la question de l’altérité et de la possible domination symbolique d’une population sur une autre. Développé par les Britanniques (très) aisés à la fin XIXe siècle, ce nouveau sport suppose alors deux choses principales : de voyager dans un pays étranger lointain pour trouver un sommet, et de se faire aider par des populations locales pour s’orienter et alléger un peu son paquetage. C’est justement ce qu’ont commencé par faire les Britanniques, autour des années 1850, avec les paysans suisses pauvres ; et c’est ce qu’on massivement entrepris les grimpeurs du monde entier avec les sherpas népalais, à partir des années 1920.
Car avant de devenir un nom commun désignant une activité de porteur, « Sherpa » est d’abord le nom d’une ethnie : un peuple népalais originaire du Tibet. Habitués depuis des générations aux très hautes altitudes, les sherpas (avec un petit comme un grand « S ») ont développé une constitution physique particulière qui leur permet de respirer plus facilement sur les cimes rocheuses, du fait d’une meilleure distribution de l’oxygène dans le sang. Leur présence aux côtés des summiters étrangers s’est vite avérée indispensable… quoiqu’également moins visible, comme le regrette aujourd’hui Kami Rita : « Pendant des décennies, les Népalais ont aidé les étrangers à gravir les sommets de l’Himalaya, mais nous n’avons pas reçu la reconnaissance que nous méritions, a déclaré à l’AFP cet alpiniste qui a escaladé vingt-quatre fois l’Everest – un record. C’est merveilleux qu’aujourd’hui sur le K2, dix Népalais aient démontré notre courage et notre force. » L’expédition au sommet du K2 serait-elle une forme de revanche ?
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