La musique dans “Tenet”. L’effet “Revolver”

Film sur l’inversion du temps, Tenet met ce thème en musique, et retrouve des effets qu’ont popularisé les Beatles : le  backmasking (ou backward masking), l’enregistrement des sons à l'envers sur la piste musicale. Mais pas tout le temps, car le temps marche aussi parfois à l’endroit chez Christopher Nolan. Le musicologue, compositeur et pianiste Karol Beffa a vu le film et analyse sa bande-son… dans tous les sens.

Comme pour Inception, l’un des précédents films de Christopher Nolan, la première impression que l’on ressent à l’écoute de la musique de Tenet est qu’elle est trop forte et qu’il y en a trop. Pour Inception, cet excès pouvait à la rigueur se justifier par le scénario même du film. Après tout, il y est question tantôt d’extraire, tantôt d'implanter une idée étrangère dans le subconscient d'un sujet : pour y parvenir, une musique tonitruante semble un adjuvant de poids, comme si elle contribuait à amoindrir la vigilance de celui sur lequel on opère. Rien de tel dans Tenet où la musique est pourtant continuellement présente. Et tout particulièrement pendant les très nombreuses scènes d’action ou de guerre qui se déroulent pratiquement toujours avec en fond un grondement continu : détonations, impacts de balles, claquements de mitrailleuses, bourdonnements... le tout mixé avec une très forte réverbération. Détail amusant : quelques-unes de ces scènes ont certainement été filmées grâce à des drones. Il arrive parfois que la musique qui les accompagne ait un rythme harmonique (c’est-à-dire une vitesse de transformation des harmonies) très lent et utilise de longues pédales, souvent dans les graves. Or, pour caractériser ces climats, on parle justement en musique de drone music, de drone ambient (ou d’ambient drone), drone désignant en anglais un bourdon…

Tenet joue tout particulièrement sur l’inversion de l’ordre du temps, et la musique s’en ressent. Lorsqu’un objet, au lieu de tomber, défie la loi de la gravitation universelle et « monte », le réalisateur a parfois recours à une inversion de la bande-son, selon la technique du backmasking (ou backward masking), c’est-à-dire quand les sons sont enregistrés à l'envers sur la piste musicale. Dès les années 1960, les Beatles avaient popularisé cette technique dans leur single Rain et leur album Revolver (avec, en particulier, la bien nommée Tomorrow Never Knows, chanson dont le titre interroge déjà cette notion de déterminisme qui est au cœur de Tenet). Cependant, dans Tenet, le backmasking n’est jamais systématique. Et le spectateur peut tendre l’oreille et s’amuser à détecter si le film l’utilise effectivement pour illustrer le crissement des pneus d’une voiture qui semble filer à reculons, le sifflement d’une balle qui regagne l’orifice d’où elle a été tirée, ou encore le « défroissement » d’un morceau de métal qui perd graduellement son aspect chiffonné. Certaines scènes donnent l’impression à la fois poétique et ludique que le temps suit son cours et s’inverse, simultanément.

Comme il arrive que la musique qui les accompagne fasse entendre des accords répétés – eux-mêmes le produit d’un backmasking –, l’auditeur, face à un monde qui semble en même temps avancer et reculer, perçoit un étrange cortège d’accords nivelés, comme empêchés ou bâillonnés par celui qui les a manipulés acoustiquement.