La boîte à souvenirs

Pendant les vacances de Noël, vous avez passé votre temps à contempler de vieux albums de photos de famille ? Dans son billet du jour, Clara Degiovanni nous explique pourquoi ces bouffées de nostalgie sont plus fécondes qu’il n'y paraît.

« Pendant les vacances de Noël, je ne fais jamais rien de nouveau. Je me consacre plutôt, non sans une certaine délectation, à refaire, à revoir, à me remémorer. Je rouvre les boîtes à souvenirs et les albums photo de famille. Je réécoute les chansons que mes parents passaient dans la voiture quand j’étais petite : celles des comédies musicales Notre-Dame de Paris et Starmania, mais aussi les tubes de Serge Reggiani, de Michel Delpech ou encore de Claude Nougaro… Je revois aussi des films avec Belmondo, Pierre Richard ou Louis de Funès, et je regarde en boucle les épisodes de la série Kaamelott que je connais pourtant par cœur. Pendant une semaine, donc, je me vautre goulûment et sans aucun scrupule dans ces souvenirs avec une tisane, des chocolats, un plaid et mon chat, Mousse, sur les genoux.

Durant cette période de fêtes, le monde autour de moi semble animé par la même nostalgie. À la télévision, on repasse en boucle les “grands moments” d’antenne commentés par des célébrités. Ces “enfants de la télé” se revoient jeunes et pimpants, et se remémorent le temps d’avant, avec un rire un peu amer ou un sourire attendri. Les rétrospectives et les bêtisiers de la décennie, voire des quarante dernières années, passent en boucle sur toutes les chaînes. La télé, la radio, les stars, les parents et les enfants… Tout le monde se met à gentiment radoter.

Certains doivent trouver cela gnangnan, et je suis un peu d’accord avec eux. Mais je pense aussi que cette période de radotage collectif est nécessaire. Elle nous donne de l’élan et ce qu’il faut de courage pour affronter le début du mois de janvier, tourné vers les “bonnes résolutions” et autres ambitieux projets de renouveau. Tout se passe comme si l’on avait parfois besoin de reculer, de régresser, de s’enfoncer mollement dans le passé, pour mieux s’orienter vers cet avenir que l’on voudrait tout frais, tout neuf, mais qui demeure en réalité opaque et incertain.

Pour Vladimir Jankélévitch, la nostalgie est semblable à un “charme”, qui exerce sur nous le même pouvoir envoûtant et rassurant que la musique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les chansons du passé nous rendent aussi nostalgiques. Elles font revivre pour nous ce que le philosophe appelle une “présence absente” : une époque que je pourrais presque toucher du doigt et que j’entends dans le présent, mais qui appartient pourtant à l’ancien temps.

Passé et futur ne s’opposent donc pas aussi radicalement qu’ils en ont l’air. Les nostalgiques ne sont pas seulement focalisés sur le passé, ils font aussi, des “provisions” pour l’avenir : ils se préparent. C’est pourquoi l’on ne veut pas se rappeler les souvenirs avec exactitude, tels qu’on les a vécus à l’époque, mais plutôt y déceler des éléments du présent et des prévisions pour le futur. Par exemple, quand je vois un superbe dessin que mon frère, Simon, avait fait enfant, je comprends rétrospectivement son choix de faire des études de design et j’anticipe ses succès à venir.

La nostalgie est donc, à mon sens, un sentiment fécond. Elle n’est pas, comme le chantait Serge Reggiani, une dame vêtue de “dentelles grises et noires” qui “rêve” alors que ses “arbres n’ont plus de fèves”. Loin d’être une veuve solitaire, elle possède le pouvoir charmant de rassembler les familles autour d’une mémoire commune et d’un patrimoine d’anecdotes aussi cocasses qu’inépuisables. »

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