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Photo d’illustration : expérience thermonucléaire, Eniwetok (République des Îles Marshall), le 31 octobre 1952. © Roger-Viollet

Entretien

Jean-Pierre Dupuy : “L’apocalypse nucléaire est notre destin… contre lequel il faut lutter”

Jean-Pierre Dupuy, propos recueillis par Octave Larmagnac-Matheron publié le 11 mars 2022 14 min

Une guerre nucléaire qui anéantirait l’humanité est-elle vraiment impossible en Ukraine, comme le laissent entendre plusieurs commentateurs ? Jean-Pierre Dupuy n’est pas de cet avis. Le modèle de destruction mutuelle assurée qui sous-tend la dissuasion est beaucoup plus fragile qu’il n’y paraît, explique le philosophe et ingénieur, auteur notamment de La Guerre qui ne peut pas avoir lieu. Essai de métaphysique nucléaire (Desclée de Brouwer, 2019).

 

Avant même le déclenchement de la guerre, Poutine brandissait la menace nucléaire. Cela vous inquiète-t-il ?

Jean-Pierre Dupuy : En préalable de ma réponse, je voudrais dire ceci : je suis effaré par la méconnaissance générale des concepts de base de la question nucléaire que révèlent les débats en France sur la crise ukrainienne. Pour prendre un exemple lié à votre question, nombreux sont les médias qui ont annoncé que Poutine menaçait d’« employer ses forces de dissuasion nucléaire ». Si jamais il les employait, ipso facto elles cesseraient d’être des forces de dissuasion. La dissuasion vise à ne pas les utiliser. Ce que Poutine a annoncé, c’est qu’il mettait ses forces nucléaires en état d’alerte maximale. S’il devait les employer contre un ou plusieurs membres de l’Otan, ce serait ce qu’on appelle, d’un anglicisme qui fait fi de l’étymologie, de la préemption. Le petit nom de celle-ci est, en anglais, « striking second first », littéralement être le premier à frapper en second, que je préfère traduire par « représailles anticipées ». On juge que l’agression de l’autre est si imminente que c’est comme si elle avait déjà eu lieu, et l’on réagit – alors qu’en fait, on porte le premier coup. Si Poutine lançait ses missiles nucléaires sur la Pologne, qu’il hait parce que c’est par elle que l’Occident achemine des armes à l’Ukraine, ou sur l’un des États baltes, ce serait de la préemption, et nous serions bien partis pour la Troisième Guerre mondiale. Cette méconnaissance, qui est fatale pour la démocratie, comme l’est l’ignorance des concepts de base de la biologie et de l’économie, résulte de multiples causes, qu’il n’est pas question de discuter ici. Tous ces savoirs sont en principe accessibles à tous, encore faut-il qu’ils soient enseignés. Le fait que les experts de la chose nucléaire en France travaillent presque tous au service de l’État (CEA) ou à celui de grands groupes industriels liés au maintien de la force de frappe (Thalès, Safran, Airbus, Dassault, etc.), contribue fortement à cet état de choses. Ainsi Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique, répète dans les médias que le risque d’un embrasement nucléaire mondial est devenu négligeable et, aujourd’hui, que la Russie n’a aucunement l’intention de recourir à l’arme atomique devenue obsolète. Nous pourrions dormir tranquilles sur nos deux oreilles. Cette idée a quelque chose de révoltant.

“Personne ne peut sortir vainqueur d’une guerre nucléaire. […] Le rappeler, contre tous ceux qui croient encore que l’on peut gagner à ce jeu, c’est une mise en garde salutaire” Jean-Pierre Dupuy

 

Poutine a évoqué à la fois la perspective d’une destruction mutuelle assurée si un conflit nucléaire venait à éclater, et en même temps l’éventualité de lancer des représailles inouïes en cas d’intervention occidentale en Ukraine. N’est-ce pas paradoxal ?

C’est après s’être entretenu avec Macron au Kremlin le 7 février dernier que Poutine a évoqué pour la première fois la menace nucléaire. Traduit littéralement, Poutine a dit : « Bien sûr, les potentiels de l’organisation conjointe de l’Otan et de la Russie ne sont pas comparables. Nous le comprenons, mais nous savons également que la Russie est l’une des principales puissances nucléaires, et en termes de modernité de certains composants, elle est même en avance sur beaucoup d’autres. Il n’y aura pas de vainqueurs, et vous vous retrouverez entraînés dans ce conflit contre votre volonté. Vous n’aurez même pas le temps de cligner des yeux lorsque vous allez mettre en œuvre l’article cinq du traité de Rome. » Négligence ou omission volontaire, une bonne partie de la presse française a tout simplement oublié le « Il n’y aura pas de vainqueurs. » Lorsque la tension internationale est telle qu’un moindre rien peut faire basculer le système dans l’horreur, une traduction bâclée comme celle-ci doit être condamnée fortement. Ce que Poutine a vraiment dit, j’aurais pu le signer. Personne ne peut sortir vainqueur d’une guerre nucléaire et l’escalade sera comme un torrent tumultueux qu’il sera impossible de remonter : c’est une parfaite description du chemin inexorable qui mène à l’annihilation mutuelle. Le rappeler, contre tous ceux qui croient encore que l’on peut gagner à ce jeu, c’est une mise en garde salutaire. La menace dissuasive, c’est tout autre chose. On menace l’ennemi de représailles « incommensurables » s’il attaque vos « intérêts vitaux », termes que volontairement l’on ne définit pas. C’est un acte de parole qui est fait pour que ce qu’il annonce ne se réalise pas. Comme le disait la doctrine française, notre force de frappe n’est pas conçue pour liquider 60 millions d’innocents, mais pour empêcher que les circonstances qui nous amèneraient à le faire se produisent.

À lire aussi : la dissuasion nucléaire, un pari (trop) risqué ?
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