Je ne sais pas aimer sans être jalouse… Est-ce grave ? Les philosophes peuvent-ils m’aider ?

publié le 3 min

Léa Wagner, 17 ans, Paris

Pour tout vous dire, chère Léa, l’amour n’est pas vraiment la spécialité des philosophes… Ils préfèrent souvent à l’amour d’un être celui de la sagesse, qui fait, avouons-le, beaucoup moins de jaloux ! Certes, on peut trouver chez Hegel un éclairage sur la structure triangulaire du désir et, par voie de conséquence, sur la jalousie. Puisque ce que je désire au fond, selon Hegel, c’est voir l’objet de mon désir reconnu par les autres, j’ai besoin, pour aimer quelqu’un, qu’il soit aussi l’objet du désir des autres – la jalousie pourrait en profiter pour se frayer un passage… On peut aussi trouver chez Sartre l’idée, très forte, selon laquelle l’autre, en m’aimant, me justifie dans mon existence : d’une certaine manière, si quelqu’un m’aime, c’est que j’existe au moins un peu, que je ne suis pas totalement vain. D’où ma terreur à l’idée que quelqu’un d’autre me prenne mon amour : alors il me prendrait ma « raison d’être », la seule preuve un peu tangible que j’ai de la valeur, et je retournerais à mon néant. C’est bien cela qui nous terrifie dans la jalousie : être rayé de la carte, effacé par un autre. La jalousie nous rappelle de manière cruelle combien Hegel ou Lacan ont raison : entre l’objet de mon désir et moi, il y a toujours les autres. Je relis votre question, Léa, et j’ai envie d’aller plus loin : est-ce l’amour qui vous rend jalouse… ou la jalousie qui vous conduit à l’amour ? Je ne sais pas si c’est grave, mais je sais pourquoi il y a peu de chance que les philosophes vous aident. Un idéaliste comme Platon essaierait de vous apprendre à aimer l’idée de l’amour, à vous élever au-dessus de cet amour particulier qui vous attache à un être et vous fait souffrir. Un sage comme Spinoza vous proposerait de comprendre les raisons nécessaires de votre jalousie pour vous débarrasser de cette passion triste. Mais l’expérience de la jalousie nous dit précisément qu’il y a un réel qui résiste à toutes les grandes idées, et que nous pouvons très bien comprendre pourquoi nous sommes jaloux tout en continuant à en souffrir. Mieux vaut peut-être se tourner vers la psychanalyse ou vers la mystique. La psychanalyse : pour entendre que votre jalousie n’est pas celle que vous croyez, qu’à travers elle vous rejouez quelque chose de votre enfance. De le revivre sur le divan vous libèrera peut-être de l’obsession de le répéter dans vos histoires d’amour. La mystique – celle d’Angelus Silesius par exemple : pour apprendre à aimer sans posséder, à aimer un être ou le monde qui, d’autant plus qu’il nous échappe, ne nous appartient pas. Car c’est alors qu’il conserve toute sa part de mystère, et demeure l’objet vibrant de notre désir.

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Faire l’amour
Que fait-on quand on fait l'amour ? Tentons-nous de posséder une part de l'autre, ou découvrons-nous au contraire son mystère, sa capacité à nous échapper sans cesse, faisant redoubler notre désir ?
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