Heidegger en chemin avec le Tao
En 1946, le philosophe allemand ébauche une traduction du Tao To King. Avec le taoïsme, qui chemine sans but en embrassant les contradictions, il découvre une philosophie qui va accompagner et nourrir sa propre pensée.
« Des chemins – pas des œuvres » : ces mots, Martin Heidegger les plaça en exergue de l’édition complète de ses travaux. Les chemins – Wege - sont omniprésents chez lui : chemin de pensée, chemins qui ne mènent nulle part, acheminement vers la parole, chemin de campagne, etc. Des chemins frayés et incertains, qui conduisent la pensée vers des terres inconnues, que le philosophe oppose à la méthode cartésienne limpide. Dès Être et temps (1927), il déclarait : « Ce qu’il faut, c’est chercher et emprunter un chemin pour la mise au jour de la question ontologique fondamentale. Ce chemin est-il le seul, ou le bon, voilà qui ne peut être décidé qu’après son parcours. 1 »
Il n’est pas étonnant que la pensée du Tao ait résonné de manière particulière à l’oreille de ce randonneur qui appréciait les longues marches en Forêt-Noire. Comme il l’explique, le Tao « signifie “à proprement parler” : chemin. [Il] pourrait bien être le chemin qui met tout en chemins, ce à partir de quoi seulement nous sommes en état de penser ce qu’aimeraient dire proprement […] les mots raison, esprit, sens, logos. 2 » Le Tao serait donc le sol sur lequel toute pensée se déploie, « le secret de tous les secrets du dire pensif ». Et d’ajouter : « les méthodes […] ne sont rien d’autre que les eaux basses d’un grand fleuve secret : [...] le chemin qui, à tout, trace sa voie. Tout est chemin. »
À la découverte du « secret des secrets »
Difficile de dire exactement comment Heidegger a découvert le taoïsme. Dès 1930, il cite Tchouang-tseu – grand maître chinois 3 – qu’il évoque à nouveau quinze ans plus tard, dans La Dévastation et l’Attente (1945), à propos de la nécessité de l’inutile. En 1946, Heidegger entreprend la traduction du Tao To King de Lao-Tzeu avec Paul Shih-yi Hsiao. Mais le projet tourne court : le duo vient à bout de huit chapitres (1, 15, 18, 25, 32, 37, 40 et 41) seulement sur 81. « Je ne pouvais pas me défaire de cette impression légèrement inquiétante qu’Heidegger allait au-delà de ce qui est attendu pour une traduction », souligne Hsiao 4.
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