Gérald Bronner, Bertrand Périer. Le grand oral

Gérald Bronner : Si j’en crois ma famille, j’ai eu très tôt une certaine disposition à l’éloquence. Mais une fois arrivé au lycée, ma timidité m’a complètement inhibé, à tel point que j’étais incapable de répondre à des questions dont je connaissais la réponse par peur d’entendre ma voix résonner dans la classe. Mes enseignants me prenaient sans doute pour un demi-­demeuré ! C’est en entrant à l’Université que j’ai pris la décision d’avoir un autre rapport au langage. Il faut croire qu’on est éloquent pour l’être un peu. Maintenant je me sers de l’éloquence en tant qu’enseignant. Il ne suffit pas de transmettre une connaissance. Il faut choisir la forme qu’on lui donne, simplement pour que ce soit bien mémorisé. Être éloquent implique une part de confiance en soi, et notamment l’acceptation de son image en public. La représentation que l’on se fait de soi-même à travers le regard des autres est extrêmement importante. En ce sens, l’éloquence est une sorte de prophétie autoréalisatrice.

Bertrand Périer : L’éloquence a également été pour moi un acte de volonté. J’ai longtemps entretenu avec la parole un rapport distant et méfiant. Peut-être parce que j’étais fils unique et que je n’avais connu qu’une parole verticale, celle des parents et des professeurs, toujours teintée d’autorité et de jugement, à la différence de la parole spontanée et libre que l’on peut avoir dans une fratrie. Je n’ai pas choisi le métier d’avocat parce qu’il avait partie liée avec la parole. J’envisageais d’ailleurs de l’exercer, comme beaucoup de confrères, de façon exclusivement écrite en rédigeant des contrats ou des conclusions. À cette époque, la plaidoirie était enseignée aux élèves avocats par des comédiens et non par des avocats ! Mais à un moment, je me suis dit qu’il manquait quelque chose dans mon exercice professionnel : aller au bout de la logique judiciaire, devant le juge, devant des contradicteurs, et assumer une composante d’oralité. J’ai donc passé des concours d’éloquence. Avec leurs sujets volontairement abstraits ou absurdes, du type « Les héros doivent-ils mourir à la fin ? », les concours d’éloquence peuvent apparaître artificiels et vains. Mais c’est précisément là leur vertu : comme les joutes du Moyen Âge, il s’agit d’un entraînement à la guerre en temps de paix. On se familiarise avec l’art de la parole dans un exercice de style dépourvu d’enjeu pour le jour où la parole aura une importance et un impact, par exemple à l’audience. Malgré tout cela, j’ai toujours peur en parlant. La parole est d’abord une affaire de confiance en soi. Or on peut dire que cette confiance « arrive en marchant et part en courant » : on peut mettre dix ans à la construire et dix minutes à la perdre ! C’est d’autant plus vrai quand on improvise. L’improvisation, même si elle est préparée et que l’orateur sait où il va, est un exercice véritablement exaltant, car il s’agit toujours d’un saut dans l’inconnu. C’est pour moi la forme la plus achevée de la prise de parole. Je préfère l’imperfection de la spontanéité à la perfection de la lecture. Aujourd’hui, c’est cette adrénaline que je recherche quand je prends la parole. C’est aussi cette prise de risque qu’attendent ceux qui viennent vous écouter lorsque vous faites un discours. 

G. B. : C’est vrai qu’on est bien meilleur quand on parle sans notes. J’ai mis du temps à y parvenir. D’ailleurs, cela ne dispense pas d’avoir en tête ce qu’on va dire, ni de se servir de diverses « prothèses mnésiques », notes ou PowerPoint. Enfin, j’ai beaucoup appris en lisant les essais des auteurs anglo-saxons, qui évitent les termes obscurs. C’est le minimum de politesse, lorsqu’on s’adresse aux autres, de faire de son mieux pour être bien compris ! L’obscurité me paraît toujours un peu suspecte. Sauf si l’on parle de physique quantique…