Génération éthique
Les ados d’aujourd’hui semblent moins prompts à brandir l’étendard de la révolte que leurs parents, mais aussi beaucoup plus attentifs aux tiraillements qu’ils ressentent en eux-mêmes.
« Ça ne se fait pas ! » C’est avec cette forme d’indignation morale que ma nièce, 15 ans, exprime souvent son désaccord. Mais, au juste, qu’est-ce qui se fait ou ne se fait pas ? Si je l’entends bien, ce n’est pas juste une parole en l’air. Car s’il est un âge où « ça philosophe », c’est bien le sien. Les grandes questions turlupinent les ados. C’est même l’essence de la crise d’adolescence que d’être tiraillée entre des aspirations existentielles contraires, qui ouvrent une brèche où se forge l’identité. Dans le passage de l’âge infantile à l’âge juvénile, le sujet encore malléable creuse sa place dans le monde et il « rencontre la question de l’acquittement impossible d’une dette de vie », comme l’écrit le philosophe Paul Audi dans Au sortir de l’enfance (Verdier, 2017). C’est-à-dire que, pour la première fois, le jeune qui sort de l’enfance se pose la question d’être redevable de son existence, de ce qu’il doit au fait d’être plutôt que de n’être pas, et à qui ? À cette question première, beaucoup d’autres s’ajoutent, qui concernent le poids des interdits, le désir de transgression, l’aspiration à la liberté absolue, l’amour et la sexualité. Qu’est-il permis d’espérer ? L’adolescence peut même « être définie comme cet âge de la vie où l’explication avec soi-même, c’est-à-dire au fond avec la vie elle-même et comme telle, ne commence pas seulement à se produire mais va plus loin. C’est le grand moment éthique de l’existence », précise Paul Audi.
Ce moment de philosophie première a d’ailleurs inspiré les philosophes qui, de Platon à Beauvoir, se sont attelés à penser la spécificité de cette crise. Que montrent-ils ? Les grandeurs et les misères de cet âge essentiellement contradictoire, ses promesses autant que ses risques. Nous en avons réuni ici un aperçu, où nous voyons combien le goût de l’opposition peut se transformer en pure vanité ou que l’exercice continu du doute peut devenir difficile à vivre. De même, l’âpre conquête de la liberté peut vite se découvrir inquiète et sans but. Ou l’indépendance se muer en intempérance. Qu’il est dur d’apprendre à être soi ! Quiconque se souvient de ses 15 ans souscrira.
Cependant, là où toute une tradition de pensée voit une régularité quasi anthropologique, faisant de cette crise un invariant générationnel, nous avons essayé d’identifier au contraire ce que les ados pensent d’inédit, aujourd’hui en 2021, à travers quelles tensions propres à leur temps s’exprime chez eux ce « moment éthique ». Quelles sont, en somme, les contradictions contemporaines qui les déchirent et les meuvent ? Nous avons adopté une méthode simple mais inhabituelle quand on parle des « jeunes ». Nous ne sommes pas allés consulter des spécialistes, nous n’avons pas commenté les enquêtes sociologiques. Plutôt que d’appliquer sur eux de grandes théories a priori, nous sommes allés les interroger directement. Et voici ce que nous avons appris en les laissant s’exprimer, les quatre contradictions fondamentales qui nous sont apparues en les écoutant. Gageons qu’elles définissent les contours d’une nouvelle morale.
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