Frédéric Gros : « Le souci de soi ouvre à la désobéissance »
Avant de venir enrichir l’arsenal des techniques de coaching, les exercices stoïciens dédiés au souci de soi furent l’enjeu des derniers livres de Foucault, rappelle Frédéric Gros. Un retour à la sagesse des Anciens pour résister au pouvoir nouveau ?
De tous les philosophes, les stoïciens sont ceux qui ont le plus prôné la maîtrise et la sculpture de soi. Comment s’y prenaient-ils, concrètement ?
Frédéric Gros : Les stoïciens avaient un idéal de sérénité extrêmement austère, car celle-ci devait passer par une maîtrise parfaite de soi-même et de ses propres affects. Pour y parvenir, ils ont mis au point un arsenal d’exercices, que Michel Foucault a baptisé les « techniques de soi ». Ils faisaient leur « examen de conscience », mais ce terme n’avait pas chez eux la connotation qu’elle prendra plus tard chez les chrétiens : ils n’essayaient pas de traquer leurs désirs vicieux, ni de faire le partage entre leurs bonnes et mauvaises pensées. Ils composaient plutôt mentalement, le matin, un scénario catastrophe pour la journée en cours, imaginant que chaque rencontre, chaque situation tournerait au pire – il s’agissait d’anticiper tous les désagréments afin d’éviter les indignations inutiles et les emportements stériles. Une autre technique pouvait consister, toujours au réveil, à se dire qu’on allait mourir le soir même. Mais cette projection de sa propre mort n’avait rien d’une méditation nihiliste ou désespérante, comme on en trouvera au XVIIe siècle, du type « Et in Arcadia ego ! » (« Moi [la mort], je suis en Arcadie ! »). Pour eux, l’évocation de la mort n’avait pas pour fonction de souligner la vanité d’une existence vouée à une fin inéluctable, mais à l’inverse d’intensifier la vie présente, en faisant sentir l’imminence du terme. La pensée de la mort pouvait être en outre un opérateur de choix : elle devait vous aider à aller droit à l’essentiel, à prendre les bonnes décisions. On peut encore citer une autre technique, qu’on peut appeler « décomposition matérielle ». Supposons que vous soyez impressionné par l’un de vos concitoyens qui arbore fièrement le laticlave – équivalent pour les Romains de notre Légion d’honneur – et que vous sentiez poindre en vous le trouble de l’envie. Eh bien, il s’agissait de faire l’analyse exacte de votre représentation : ce que vous voyez, ce n’est précisément, exactement, matériellement, qu’un petit morceau de tissu rouge, soit quelques poils de brebis teints par le sang d’un coquillage. Avec ce type de réduction, les symboles sociaux deviennent des matérialités dérisoires dont on peut se moquer.
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