Frédéric Dufaux : “Nanterre est loin d’être le territoire le plus explosif de France”

La ville de Nanterre, une banlieue parisienne située dans les Hauts-de-Seine, s’est rapidement embrasée suite à la mort du jeune de 17 ans tué par un agent de police le 27 juin dernier – avant d’entraîner avec elle une partie de l’Hexagone dans une spirale insurrectionnelle. Frédéric Dufaux, géographe spécialiste des questions de justice spatiale et qui mène un travail de fond avec la jeunesse, nous explique en quoi cette ville, sans être la plus violente de France, a un terrain qui peut expliquer l’agitation.

Nanterre est-elle une poudrière, comme l’affirment de nombreux commentateurs depuis la mort de Nahel M. ?

Frédéric Dufaux : Si Nanterre est une poudrière, alors il y a dix mille poudrières en France. Les difficultés qu’y connaissent les populations des quartiers populaires se retrouvent dans de très nombreux contextes urbains, voire périurbains et ruraux, en France. Cela étant, Nanterre est particulier en deux sens : on observe une situation urbaine présentant à la fois des tensions et des chances spécifiques. Cette commune est d’abord un territoire fragmenté, très fragmenté, où se côtoient des trajectoires extrêmement divergentes : certaines des populations les plus riches coexistent avec certaines des plus pauvres – je pense notamment à la bordure de La Défense, à proximité immédiate du quartier Picasso [la cité de logements sociaux d’où sont parties les émeutes]. La juxtaposition crée évidemment des tensions, des frustrations. D’autant que le fossé s’est creusé ces dernières décennies. Nanterre était un territoire très industriel et actif qui s’est désindustrialisé depuis une quarantaine d’années. Les habitants des bidonvilles étaient presque tous actifs, ouvriers d’usine ou du bâtiment. C’était l’époque du plein emploi ; aujourd’hui, il y a une inactivité importante, une difficulté à trouver sa place, etc. Cependant, Nanterre est loin d’être le territoire le plus en difficulté de France.

“Si Nanterre est une poudrière, alors il y a dix mille poudrières en France” Frédéric Dufaux

Pour quelles raisons ?

Si l’on compare la ville à Clichy-Montfermeil (93), par exemple, Nanterre est très bien relié et dispose d’un bon accès au marché de l’emploi – même s’il s’agit de petits boulots, parfois informels, dans la livraison, le gardiennage, la sécurité, etc. Il y a des opportunités de travail y compris pour des populations à faible qualification, et aussi des possibilités de formation. Par ailleurs, Nanterre est une commune qui dispose de moyens assez notables, comparativement à pas mal d’autres villes de banlieue. C’est une ville de tradition communiste qui consacre beaucoup de moyens à l’action sociale, éducative, sportive, associative. Nahel était d’ailleurs inscrit dans un programme d’insertion par le sport. Ces investissements ont des effets sensiblement positifs. On en trouve de forts relais dans les quartiers populaires, avec des structures publiques, des centres d’action sociale, des associations de jeunesse comme « Zy’va »… Toutes réalisent un effort de formation et d’accompagnement assez efficace. En 2005, outre le fait, évidemment, que Nanterre ne constituait pas l’épicentre des émeutes, cette situation socio-économique moins défavorable et l’encadrement par les associations et les structures municipales ont d’ailleurs contribué à y limiter les mouvements de révolte.