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Cyathea rojasiana. ©Graphisme de Camila Pizano, couleur de Michael Vincent / The University of Illinois of Urbana-Champaign

Biologie

Fougères zombie : les plantes sont-elles mortelles ?

Octave Larmagnac-Matheron publié le 19 février 2024 4 min

Une équipe américaine a découvert, au Panama, une « fougère zombie ». De quoi interroger le rapport singulier des plantes à la mort. 


 

C’est une drôle de fougère qui a été récemment découverte au Panama : qualifiée de « zombie », la Cyathea rojasiana possède l’étonnante capacité à « réanimer ses feuilles mortes pour en faire des racines qui tirent l’azote du sol afin de nourrir la plante mère », comme le résume la journaliste Eleanor Higgs. Dans leur étude, les scientifiques détaillent : « Lorsque la feuille meurt, les structures à l’intérieur du rachis, chargées de distribuer l’eau vers les parties vivantes de la feuille, se transforment et deviennent des racines vivantes. » Un exemple très singulier de « reconversion du tissu » (« repurposing of tissue »), qui témoigne de l’extraordinaire plasticité des végétaux.

Le cas de la « fougère zombie » interroge, immanquablement, le rapport très particulier que le végétal entretient à la mort – ou plutôt, précisément, l’absence supposée de rapport. Le cas des arbres a souvent retenu l’attention. « On n’aura pas de peine à nous montrer qu’un arbre ne vieillit pas, puisque ses rameaux terminaux sont toujours aussi jeunes, toujours aussi capables d’engendrer, par bouture, des arbres nouveaux », notait déjà Bergson dans L’Évolution créatrice (1907). Les observations en ce sens sont fort nombreuses. On les retrouve chez le philosophe Jacques Tassin, dans Penser comme un arbre (2018) : « Un arbre ne meurt jamais de sa belle mort mais parce qu’une force externe l’a déraciné, brisé, corrompu ou brûlé. » Le botaniste Francis Hallé ne dit pas autre chose dans son Plaidoyer pour l’arbre (2005), où il n’hésite pas à parler d’« immortalité potentielle » ou virtuelle : « Les arbres meurent […] mais les causes qui les font mourir sont toujours des causes externes : le vent, le feu, le froid, des pathogènes, un glissement de terrain, ou la tronçonneuse de l’exploitant forestier. »

La mort, en somme, n’est pas contenue dans le « programme vital » de l’existence végétale ; elle est une externalité. Le jeune philosophe Quentin Hiernaux le dit encore dans Du comportement végétal à l’intelligence des plantes ? (2020) : « Les arbres ne sont pas affectés par un phénomène de sénescence programmée comme les animaux. […] La mort n’est pas programmée de manière interne et bornée dans le métabolisme d’un arbre, elle survient de l’extérieur […] L’arbre, capable de se régénérer, ne meurt jamais de vieillesse, puisqu’il ne vieillit pas, il meurt toujours accidentellement dans la force de l’âge. » Cette caractéristique est liée à la structure de l’organisme végétal, qui est moins un ensemble différencié d’organes qu’une colonie de tissus et de cellules qui, se multipliant par différenciation, conservent les mêmes potentialités et le même réservoir de vitalité (au contraire des cellules animales qui se spécialisent et s’épuisent au gré des divisions). Cette propriété singulière, cela dit, ne vaut pas seulement pour l’arbre – il faut au moins l’étendre à l’ensemble des plantes vivaces comme la fougère : « Une plante vivace comme un arbre ne vieillit pas à proprement parler […] L’expérience d’une plante vivace ne dépend donc pas d’un rapport à la finitude et à ses effets, mais de conditions relatives à un optimum métabolique. »

Quid des plantes annuelles, qui « meurent » apparemment chaque année ? Pour la philosophe Florence Burgat, cette mort n’en est pas une. La plante survit sous la forme d’une graine qui, là même où elle sèche, conserve un potentiel de vie, de renaissance : « Les graines, désormais sèches, antérieurement récoltées au cœur d’un fruit, revivent une fois remises en terre. Les grains de blé, par exemple, doivent mourir pour renaître » (Qu’est-ce qu’une plante ?, 2020). La mort de la plante apparaît comme une illusion. De nombreux végétaux peuvent connaître des moments comparables de mort apparente, comme le note Hiernaux : « Les végétaux peuvent ralentir leur rythme (parfois presque l’arrêter) pour éviter la mort et attendre des jours meilleurs. » L’exemple le plus connu est sans doute celui de la fausse rose de Jericho (Selaginella lepidophylla), surnommée « plante de la résurrection », qui manifeste d’étonnantes capacités de reviviscence après de très longues périodes de dessèchement.

Comme le résume Burgat, « une plante que l’on dit “morte” poursuit souvent sa vie dans l’obscurité du sol avant de reparaître à la lumière. Le temps des plantes n’a ni commencement ni fin clairement assignables. » C’est à peu près ce qui se passe pour la fougère zombie : ses feuilles mortes se métamorphosent, dans le secret de la terre, en racines qui ouvrent à l’abri des regards la voie à un prolongement inattendu de la vie végétale. Burgat tire, de cette indifférence à la mortalité, des conséquences ontologiques quant à la différence entre le végétal et l’animal : « L’immortalité potentielle des arbres, l’inépuisable recommencement des plantes par les graines qu’elles-mêmes produisent, leur renaissance, donc, le fait qu’elles soient vivaces, leur division qui donne naissance à d’autres plantes, leur indifférence si éloignée de l’inquiétude de la vie des êtres de chair et de sang qui ont une vie de relation choisie faite de préférences et de détestations, de désirs et de peurs, forment deux modes d’être que tout oppose. »

Peut-on être aussi tranché ? Que la mort ne vienne jamais « de l’intérieur », toujours seulement « de l’extérieur » - cette distinction est-elle vraiment décisive ? Les facteurs extérieurs susceptibles de faire mourir la plante sont légion. La mort n’est sans doute pas inscrite a priori dans la vie végétale ; mais elle n’en est pas moins, empiriquement, la règle à quelques rares exceptions (ceux qui n’ont pas la « main verte » ne le savent que trop bien). Comme le remarquait du reste Bergson, « dans pareil organisme – qui est d’ailleurs une société plutôt qu’un individu –, quelque chose vieillit, quand ce ne seraient que les feuilles et l’intérieur du tronc […]. Partout où quelque chose vit, il y a, ouvert quelque part, un registre où le temps s’inscrit. » Chaque cellule porte sans doute en elle la totalité des potentialités de la plante ; il n’en demeure pas moins que la vie de la colonie exige la mort cyclique de certaines de ces cellules. Il y a de la mort dans le végétal.

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