Faire l’école en forêt ?

Une école en pleine forêt : c’est le projet lancé par William Paesen, président de l’association Mouvement actif pour une vie durable, dans la petite commune de Sassetot-le-Mauconduit, en Seine-Maritime. La structure devrait ouvrir ses portes en septembre prochain et permettra alors d’accueillir une dizaine d’élèves de maternelle dans deux yourtes installées à l’orée des bois. L’objectif : « se reconnecter à la nature », « développer les sens », la curiosité et l’attention portée au vivant. « Le fait d’être dehors rend aussi les enfants plus autonomes, plus attentifs à ce qui est autour d’eux », précise Élise, membre du projet. L’idée était déjà défendue, dans les années 1910, par le philosophe Américain John Dewey et son épouse, la pédagogue Evelyn Dewey.

Histoire

Faire cours dans la forêt ? Le projet en fera, assurément, sourire certains. Si elles sont très peu nombreuses en France – la première maternelle de ce type a été inaugurée en 2018 –, les forest schools sont pourtant relativement répandues dans d’autres pays : en Scandinavie, en Allemagne, en Angleterre (qui compte 1 000 structures de « garderies en forêt »), et aux États-Unis, où vit le jour la première d’entre elle, l’école Laona, dans les années 1920 (lien en anglais). À la même époque, le philosophe américain John Dewey et son épouse, la pédagogue Evelyn Dewey, défendaient d’ailleurs la nécessité pour l’école de s’ouvrir davantage sur le monde extérieur.

Épanouissement 

Dans Schools of Tomorrow (« Les écoles de demain », 1915), le couple Dewey écrit ainsi que, pour être pleinement épanouie, « la vie de l’enfant [doit] s’étendre au-delà de la porte, dans le jardin, dans les champs et les forêts environnants. » L’enfant a besoin d’« excursions, de promenades et de discussions qui lui ouvrent un mode [d’apprentissage] plus ample. » L’école doit permettre « un mouvement en vue d’une plus grande liberté et d’une identification croissante de la vie de l’enfant et de son environnement. »

Curiosité

L’ouverture sur les espaces naturels joue un rôle d’abord pédagogique : pour le couple Dewey – théoriciens d’une conception pragmatique de l’existence –, le « véritable apprentissage » est un apprentissage en « situation ». Les excursions répétées sont essentielles pour comprendre les sciences naturelles (et la botanique en particulier). Elles stimulent la curiosité, l’attention portée aux autres êtres. Dans l’école idéale que les Dewey imaginent, « l’étude de la nature et la géographie […] sont menées presque entièrement à l’extérieur. Les enfants vont dans les champs et les bois et regardent les arbres et les fleurs ; ils posent des questions à leur sujet, examinent les différentes écorces, feuilles et fleurs ; ils partagent ce qu’ils pensent et utilisent leurs livres pour répondre aux questions que les arbres et les plantes leur suggèrent. » L’école devient une manière de familiariser l’enfant avec son milieu de vie. Elle permet de prendre conscience de « la corrélation naturelle entre les réalités du sol, de la vie animale et des relations humaines. »

Démocratie

L’éducation en extérieur joue, en même temps, un rôle politique et démocratique. En découvrant le monde qui l’entoure, l’enfant s’émancipe en effet des limites étroites de son existence dans la sphère privée, celle de la famille. Il découvre, dans la nature, le monde commun que les hommes ont en partage et dont il leur incombe de prendre soin. L’école en extérieur n’est pas seulement une invitation à arpenter le monde sauvage, mais à « cultiver ce commun ». D’où l’insistance des Dewey sur la nécessité de « potagers scolaires ». Le jardinage est en effet la forme la plus élémentaire d’une activité collective qui met en jeu la « communauté entière » : il « assainit et embellit » le cadre de vie, il produit des fruits et des légumes – de la nourriture, la condition la plus essentielle de subsistance de la communauté humaine. Les écoles de demain doivent ainsi rendre possible un « tournant civique » du jardinage, car les enfants y découvrent le sens de leur appartenance à la société. 

On peut, sans doute, se réjouir de ces initiatives, qui inventent de nouvelles manières d’enseigner. Il faut pourtant garder à l’esprit que l’école ne peut s’y résumer : elle est avant tout un lieu de transmission de savoirs, d’émancipation intellectuelle, de façonnement d’une vie intérieure autonome. Un lieu de cultivation de soi qui offre un abri à l’enfant rapport aux déterminations extérieures… à commencer par celle de la nature.