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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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(cc) Unsplash / Joanna Kosinska

Une autre pédagogie est possible 

Martin Duru publié le 22 août 2018 16 min

C’est un livre visionnaire, l’Émile de Jean-Jacques Rousseau, censuré et jugé scandaleux lors de sa parution au XVIIIe siècle, qui n’a eu de cesse de relancer la réflexion sur la pédagogie : les enfants ne deviendraient-ils pas meilleurs… en dehors des murs de l’école traditionnelle ? Ce rêve d’un apprentissage direct du monde a traversé les innovations de John Dewey ou de Maria Montessori, et connaît une nouvelle actualité. 

« Car que leur apprennent-ils enfin ? Des mots, encore des mots, et toujours des mots. » C’est la diatribe d’un esprit en colère. Le réquisitoire est féroce : « Parmi ce long flux de paroles dont vous les excédez incessamment, ne pensez-vous pas qu’il y en ait une qu’ils ne saisissent pas à faux ? » Celui qui s’exaspère de la sorte ? Jean-Jacques Rousseau. Sa cible ? Les précepteurs, les pédagogues, tous les « pédants » et autres « sermonneurs » dont l’action est non seulement inefficace mais délétère pour les enfants. Remonté, Jean-Jacques a néanmoins de l’imagination. Pour lui, une autre éducation est possible, dont il s’agit d’élaborer urgemment le programme. Une révolution se prépare et s’accomplit, dont les échos mènent jusqu’à nous. 

À l’origine, une œuvre qui a suscité le scandale. Paru en 1762, condamné par le Parlement et la Sorbonne, Émile ou De l’éducation offre « les rêveries d’un visionnaire sur l’éducation ». Son auteur se donne un « élève imaginaire », Émile, donc, qu’il accompagne du berceau jusqu’au mariage. Un lien irréductible se noue entre le garçon, orphelin et de bonne condition, et son protecteur, mentor omniprésent – Rousseau écrit même qu’il est « le vrai père d’Émile ». L’affaire ne manque pas de piquant, quand on sait que le philosophe a placé ses cinq « vrais » enfants à l’institution parisienne des Enfants-Trouvés… Il va falloir s’y faire : c’est un homme ayant abandonné sa progéniture qui a le plus profondément bouleversé notre vision de l’enfance.

 

L’enfance redécouverte

Car l’Émile, c’est d’abord un appel vibrant, plus, une injonction catégorique : il convient de « considérer l’homme dans l’homme, et l’enfant dans l’enfant ». Rousseau rompt avec un schéma traditionnel : avant lui, l’enfant était envisagé comme un petit d’homme, justement, comme un être transitoire qu’il fallait former pour rejoindre le monde adulte. Or à raisonner ainsi, « on ne connaît point l’enfance », on la réduit à une terra incognita. Le credo rousseauiste est de s’intéresser à l’enfant en tant que tel, en scrutant les « manières de voir, de penser, de sentir, qui lui sont propres ». Une telle étude se complète d’un geste, radical. Le modèle préconisé est celui d’une « éducation négative » : celle-ci consiste « non point à enseigner la vertu ni la vérité, mais à garantir le cœur du vice et l’esprit de l’erreur ». L’éducation est négative en ce sens qu’elle retranche, soustrait l’enfant à tout ce pourrait le pervertir : les enseignements humains, trop humains de la morale et de la science, et, plus largement, l’influence de la vie sociale, jugée pernicieuse. Pour Rousseau, l’éducation « positive », celle qui fait fi des spécificités de l’enfant en l’assommant de savoirs et en l’intégrant trop tôt dans la société, est mauvaise ! Afin de ne pas entraver son développement, il faut faire sécession et ne suivre qu’une seule voie : celle tracée par la nature, boussole opposée à la civilisation, qui égare et corrompt.

Émile sera donc envoyé à la campagne, loin de ces villes qui sont « le gouffre de l’espèce humaine ». Dans ses premières années, on le laissera gambader et s’ébaudir, « [faire] ce qu’il lui plaît ». Les instincts ne doivent pas être bridés, et la première école sera celle des sens qui font découvrir le monde : « Nos premiers maîtres en philosophie sont nos pieds, nos mains, nos yeux. » Ces organes sont les premiers « instruments de notre intelligence », écrit Rousseau, héritier de la tradition empiriste – je sens, donc je pense. Pour affiner ses perceptions, il est notamment recommandé de se prêter à des « jeux de nuit » : évoluer dans la pénombre, avec les craintes et les tremblements que cela génère, permet au moins d’éduquer l’ouïe et le toucher…

Dans toutes ses activités, l’enfant est chaperonné par son « gouverneur », terme que Rousseau préfère à celui de « précepteur ». Pourquoi ? Parce que le précepteur « instruit » – il donne des leçons et éventuellement des ordres –, tandis que le gouverneur, lui, « conduit ». Il propose, en lieu et place de « préceptes » à réciter par cœur, des « exercices ». Le réel est mis en scène afin de stimuler la curiosité de l’enfant, et c’est l’expérience concrète qui familiarise avec les notions abstraites. Par exemple, l’évaluation des distances passe par des défis jetés à la cantonade : « Voilà un ruisseau fort large, comment le traverserons-nous ? Une des planches de la cour posera-t-elle sur les deux bords ? » Résolvant des problèmes de ce type, l’enfant reconnaît de lui-même les vérités vers lesquelles le gouverneur l’aiguillonne. Loin d’être passif, Émile apprend en se débrouillant : un jour, son mentor fait mine de le perdre en forêt ; l’enfant est stressé, et il a faim. Alors on lui fait remarquer qu’il est midi et qu’à cette heure, il suffit de regarder la direction de l’ombre pour trouver le nord, et donc, en se retournant, le sud. Émile a compris et s’engage vers le village le plus proche où il pourra se sustenter. Voilà toute une leçon de cosmologie et de géographie pour un casse-croûte…

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