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Pap Ndiaye, ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, le 23 mai 2022. © Xosé Bouzas/Hans Lucas/AFP

Le livre du jour

Être noir, une condition indépassable ?

Martin Legros publié le 25 mai 2022 4 min

Vendredi dernier, le 20 mai, l’historien Pap Ndiaye a été nommé ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse du nouveau gouvernement d’Élisabeth Borne. Spécialiste des États-Unis, professeur à Sciences Po Paris et directeur du musée de l’Histoire de l’immigration, Pap Ndiaye a également publié La Condition noire. Essai sur une minorité française, en 2008. Ce livre, et certaines de ses prises de position publiques sur les questions raciales, lui ont valu des attaques virulentes de la part de la droite et de l’extrême droite. Critiques injustifiées, selon Martin Legros, qui a relu ce livre pour l’occasion et souligne son intérêt scientifique et même philosophique.

 

Ce texte a été initialement publié dans de notre newsletter quotidienne. Abonnez-vous (gratuitement) ici !

 

Depuis qu’il a accepté de devenir ministre de l’Éducation nationale dans le gouvernement d’Élisabeth Borne, l’universitaire Pap Ndiaye, prof à Sciences Po et directeur du musée de l’Immigration, fait l’objet d’une mise en accusation doublée d’un sidérant procès d’intention. À gauche, si Jean-Luc Mélenchon salue l’audace de la nomination d’un « grand intellectuel », il considère qu’il fait partie des « petites prises » et « autres renégats » à rejoindre le président Macron, tandis qu’Olivier Faure, au PS, voit en lui « celui qui a amené la pensée woke en France ». À droite, Éric Ciotti s’élève contre « l’entrée de l’islamo-gauchisme » et de l’idéologie « anti-flic » rue de Grenelle, tandis que Marine Le Pen, Jordan Bardella ou Éric Zemmour dénoncent à l’unisson un partisan d’idéologies « antirépublicaines, antifrançaises, racialistes et haineuses ». En cause ? Des déclarations pourtant assez prudentes, où Ndiaye défend l’idée d’« intersectionnalité » (le fait que les discriminations de classe, de genre ou raciales peuvent être croisées) tout en précisant que cette approche peut parfois basculer dans le « sectarisme ». Ou encore l’idée qu’il y aurait non pas un « racisme d’État », mais un « racisme structurel » qui fait que des institutions « peuvent avoir des pratiques racistes ».

En entendant ces attaques, je n’ai pu m’empêcher de penser qu’en effet, les personnes de couleur font bien encore l’objet, en France, sinon de haine, du moins d’un soupçon de principe, sans rapport avec leurs actes et leur itinéraire. Impressionné par les quelques mots très sobres tenus lors de sa passation de pouvoir par l’intéressé, où celui-ci s’est présenté comme un « pur produit de la méritocratie », je me suis penché sur le parcours remarquable de cet ancien normalien devenu professeur à l’Institut d’études politiques de Paris après un séjour de recherche aux États-Unis : fils d’un père issu d’une famille pauvre du Sénégal, devenu grâce à ses instituteurs et à une bourse française le premier diplômé des Ponts et Chaussées de l’Afrique subsaharienne, et d’une mère institutrice puis professeure de sciences naturelles ayant élevé toute seule ses deux enfants en banlieue, alors que leur père était rentré au pays… Mais j’ai surtout souhaité examiner l’œuvre de Pap Ndiaye. J’avais vu l’exposition « Le modèle noir de Géricault à Matisse » qu’il avait montée à Orsay en 2019, colossal travail de mémoire pour redonner leur nom et leur histoire à tous ces modèles noirs de la peinture française – et qui avait été un grand succès public, en particulier auprès de populations qui vont rarement au musée. Je me suis penché hier sur son essai le plus important, La Condition noire (Calmann-Lévy, 2008). Et j’ai découvert un ouvrage admirable de nuance et de profondeur, sur ce que c’est que d’appartenir à la minorité noire en France depuis deux siècles. Soucieux de faire parler l’expérience vécue des Noirs autant que de donner à connaître les études sociologiques et historiques, encore minoritaires sur cette question, Ndiaye fait remonter le témoignage d’une centaine de personnes qu’il a interrogées, et dont le vécu est très différent en fonction de leur lieu de naissance – en France métropolitaine ou ailleurs –, de leurs familles – issues des Antilles ou d’Afrique – ou de leur milieu social. Dans leur grande majorité, cependant, ces individus expriment une « amertume », à propos non seulement des discriminations qu’ils subissent mais aussi du soupçon qui pèse sur eux, « comme s’il existait une contradiction entre leur appartenance noire et leur citoyenneté française ».

Ndiaye cherche aussi à penser ce que c’est que d’être noir. Inspiré par le Sartre des Réflexions sur la question juive (1946) autant que par W. E. B. Du Bois, Erving Goffman, Frantz Fanon ou Aimé Césaire, il soutient qu’être noir, c’est d’abord être perçu comme tel dans le regard des autres, mais c’est aussi pouvoir assumer cette donnée sociale de manière plus ou moins volontaire – en s’appropriant la lutte des Noirs pour leur émancipation ou en s’appropriant la culture produite par les Noirs dans l’histoire, plutôt qu’en se débattant avec les stigmates, positifs ou négatifs, issus de l’esclavage et du colonialisme. « Quel effet cela fait-il d’être un problème ? », demandait Du Bois en mettant à jour la « double conscience » du Noir habité par le sentiment d’être soi, riche d’une vie intérieure unique, et celui d’être réduit par les autres à son apparence noire. Ndiaye ne rêve pas de voir disparaître demain le problème noir. Mais il propose d’articuler autrement la dualité de cette condition. « Nous voulons être invisibles du point de vue de notre vie sociale, et par conséquent que les torts et les méfaits qui nous affectent en tant que Noirs soient efficacement réduits. Mais nous voulons être visibles du point de vue de nos identités culturelles noires, de nos apports précieux et uniques à la société et à la culture françaises. »

Au vu des réactions démentes suscitées par sa nomination, le moins qu’on puisse dire est qu’il y a encore un effort à faire pour que la visibilité des Noirs soit moins problématique, et leur condition sociale plus heureuse.

 

Paru en 2008 aux Éditions Calmann-Lévy, La Condition noire. Essai sur une minorité française, de Pap Ndiaye, est toujours disponible ici.

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