Hors-série "Blaise Pascal, l’homme face à l’infini"

Édito : tous à bord avec Pascal

Sven Ortoli publié le 24 mai 2023 2 min

« Vous êtes embarqué », écrit Pascal. Vous n’aviez rien demandé ? Peu importe, vous y êtes. Que vous le vouliez ou non. Précipités dans ce monde étrange, ou plutôt devenu étranger. Oubliez le cosmos harmonieux, et taillé à sa mesure, de l’homme de la Renaissance. Bien avant Bergson et Sartre, le philosophe janséniste pense l’angoisse existentielle de la nouvelle condition humaine : « Quelle chimère est-ce donc que l’homme ? quelle nouveauté, quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradictions, quel prodige ? Juge de toutes choses, imbécile ver de terre, dépositaire du vrai, cloaque d’incertitude et d’erreur, gloire et rebut de l’univers » [Pensées, 122]. Tout et son contraire : Ecce homo.


Dans ce XVIIe siècle post-copernicien qui voit conjointement naître le télescope et le microscope, Pascal explique à ses contemporains qu’ils vivent, en somme, le cul entre deux infinis. Un mot résume leur situation : « disproportion ». Disproportion dans les trois ordres qui balisent la relation entre l’homme et le réel : l’ordre des corps : celui des passions humaines et des royaumes, des étoiles et des animalcules ; l’ordre de l’esprit : celui de l’esprit géométrique et des chercheurs de connaissance ; l’ordre de la charité : celui du cœur et de la foi. Trois abîmes, incommensurables et vertigineux, qui cachent d’autres abîmes dans une régression à l’infini qui garantit à l’homme qu’il ne saura jamais ce qu’il est. Excepté, écrit Pascal, que « la grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connaît misérable ». Il ne faut pas compter sur l’homme qui a démontré expérimentalement l’existence du vide pour nous dorer la pilule ! Mais cet observateur fabuleux de la société humaine n’est pas un imprécateur. Juste un « effrayant génie », dixit Chateaubriand, qui prend tout le monde, et parfois lui-même, à contretemps. « Et ainsi, dit-il, les philosophes ont beau dire “rentrez-vous en vous-mêmes, vous y trouverez votre bien”, on ne les croit pas et ceux qui les croient sont les plus vides et les plus sots » [133]. Plus tard, il conclut : « se moquer de la philosophie, c’est vraiment philosopher » [467]. Ses Pensées, une tapisserie d’éclairs – 781 fragments – dont chaque lecteur renouvelle l’assemblage, sont un vade-mecum pour le voyage de la vie.
 

Cela tombe bien, nous sommes embarqués. Passagers d’un vaisseau qui file ses 107 000 km/h autour d’un Soleil qui se déplace à 800 000 km/h dans une Voie lactée poussée par le vide à 2,3 millions de km/h vers un lointain amas de galaxies, le Grand Attracteur – Pascal aurait apprécié. Un vaisseau dont nous ne maîtrisons ni les propulseurs, ni la passerelle, ni le gouvernail. Et que nous nous employons à rendre invivable, mais c’est une autre histoire.
 

Tant qu’à être embarqués dans cet univers dont le sens nous échappe, faisons le pari, sans qu’il soit nécessaire de croire en son « dieu incompréhensible », que le voyage est plus agréable avec cet homme.

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