D’irréductibles cartésiens ?

François Azouvi, propos recueillis par Fabien Trécourt publié le 4 min

On assimile souvent l’esprit français à une façon toute cartésienne d’appréhender le monde : rationaliste et logique, parfois bornée. Réducteur ? Pas forcément… Ainsi que l’explique François Azouvi, la pensée de Descartes n’a cessé d’être brandie pour construire la démocratie hexagonale tout au long de son histoire.

« Je ne crois pas vraiment à “l’esprit de peuple”. Cette affirmation selon laquelle les Français sont cartésiens fait partie des propos ni vrais ni faux, infalsifiables donc invérifiables. En revanche, l’identification de la France à Descartes est très répandue : elle agaçait déjà Ernest Renan en 1858, et je crois qu’elle remonte à cette période. Pour les contemporains de Voltaire, le préjugé national était la marque d’un esprit borné – il faut attendre la fin du XVIIIe siècle pour que “l’école de pensée française” fasse son apparition. La première occurrence que j’ai trouvée de ce thème remonte à 1797, dans un texte de Pierre Prévost. Ce dernier distingue trois types de philosophies selon “le nom du pays où elles ont le plus de disciples” : l’écossaise avec Bacon, l’allemande avec Leibniz, la française avec Condillac et Descartes. Au passage, précisons que le besoin d’incarner sa patrie en une figure philosophique ne se manifeste guère qu’en France : les Allemands ne se disent pas kantiens, pas plus que les Anglais lockéens.

Quand un Français se prétend cartésien, qu’entend-il par là ? Cela veut dire qu’il se veut rationaliste, épris de méthode et de clarté – et qu’il ne croit pas aux sorcières… Le cartésianisme est associé à un état d’esprit et à une manière d’aborder le monde, plutôt qu’à une doctrine précise. Aux yeux de Fontenelle, par exemple, une bonne partie des théories cartésiennes étaient fausses ou incertaines, même s’il vantait la voie de la raison montrée par Descartes. Cependant, si beaucoup de Français s’imputent ces qualités de clairvoyance et d’indépendance de jugement, d’autres récusent cette identification. Pour ces derniers, le rationalisme cartésien relève de l’étroitesse d’esprit, l’idée claire et distincte est le masque de l’insensibilité poétique, lyrique ou religieuse, le recours à l’abstraction sert d’excuse à une série d’abus de langage, le doute hyperbolique dissimule une méconnaissance profonde des vérités établies…

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