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Maroc central, le 10 septembre 2023. Dans le village d’Imi N’Tala, près d’Amizmiz, après le tremblement de terre meurtrier de magnitude 6,8 du 8 septembre. © Fadel Senna /AFP

Détresse sismique

Michel Eltchaninoff publié le 11 septembre 2023 3 min

« Comme vous, sans doute, j’écoute depuis samedi matin les nouvelles venant du Maroc. Et j’éprouve presque un sentiment d’absurdité face à la violence de ce qui s’est passé. Des milliers de personnes ont péri, et des dizaines de milliers d’autres ont perdu à la fois leur assise et leur toit. Le terme séisme vient du grec seiein (σείειν), qui signifie ébranler. C’est bien de cela qu’il s’agit.

En quelques minutes, dans la nuit de vendredi à samedi, les victimes du séisme ont perdu tout ce qui fait que nos vies tiennent et nous font bénéficier d’un séjour sur cette Terre : le sol sous nos pieds et une maison au-dessus de nos têtes. Ces deux dimensions de notre existence concrète sont au fondement de tout le reste. Tout d’abord, nous évoluons sur une terre ferme, solide, immobile. Certes, nous avons appris à l’école que cette assise n’était qu’une illusion, que la Terre était en mouvement perpétuel, sur elle-même et autour du soleil. Mais cette connaissance reste abstraite. Au fond, ce qui fait que nous avons confiance en l’existence est la certitude physique de marcher sur une surface inébranlable. Parfois, lorsque tout change autour de nous de façon dramatique, nous disons que nous sentons le sol se dérober sous nos pieds. Mais c’est une métaphore. La certitude la plus profonde que nous ressentons est née de l’habitude, depuis notre naissance, de disposer du sol fixe pour pouvoir nous tenir debout, avancer, nous asseoir ou nous allonger.

Le fondateur de la phénoménologie, Edmund Husserl (1859-1938), a insisté sur cette vérité. En trois jours, le vieux philosophe rédige un texte un peu fou, de son propre aveu, “la plus incroyable hybris philosophique”, La Terre ne se meut pas (Éditions de Minuit), qu’il résume ainsi : “Renversement de la doctrine copernicienne dans l’interprétation habituelle du monde. L’arche-originaire Terre ne se meut pas. Recherches fondamentales sur l’origine phénoménologique de la corporéité, de la spatialité de la nature au sens premier des sciences de la nature.” Il ne s’agit pas d’affirmer que la science se trompe depuis Copernic et Galilée. Mais de rappeler que notre expérience corporelle n’est pas celle de l’hypothèse scientifique. Si nous nous sentons nous mouvoir, rendant ainsi possible l’expérience de l’espace et des choses, c’est parce que nous le faisons à partir du sol que nous percevons immobile. L’expérience particulière des moyens de transport, notamment des navires, des trains et des avions ne prend sens qu’en référence à notre assise sur la terre ferme, au plancher des vaches – que nous sommes souvent si heureux de retrouver après un vol ou une traversée en bateau. C’est le sentiment de posséder une assise qui disparaît avec un séisme. Soudain, plus rien ne nous soutient, et nous perdons, très probablement pour longtemps, toute capacité de vivre comme avant.

Mais ce n’est pas tout. La seconde condition de notre séjour au monde s’effondre également, avec la maison qui abrite et protège. Elle tremble, se fend, s’écroule. Il faut la quitter, comme ces milliers de personnes qui dorment dans la rue par crainte de répliques, ou qui ont perdu la leur. Un autre phénoménologue, le Tchèque Jan Patočka (1907-1977), montre dans Le Monde naturel comme problème philosophique (1936), que notre expérience première de l’existence s’enracine dans un “noyau central”, cette “partie qui nous est, somme toute, familière, où nous nous sentons en sécurité, où il n’y a pour ainsi dire rien à découvrir, où chaque attente a déjà été ou pourra toujours être remplie d’une manière typique”. Ce “refuge” est le “lieu où je suis plus à ma place que partout ailleurs”, “la partie de l’univers la plus imprégnée d’humanité ; les choses y sont déjà, si l’on peut dire, des organes de notre vie”.

Avec ce séisme, les victimes ont perdu leur assise et leur asile. Celles qui ont sauvé leur vie se retrouvent matériellement et existentiellement ébranlées, jusqu’au plus profond d’elles-mêmes. C’est pour cela que nous pensons tellement à elles. »

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