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Détenus dans la cour de promenade d’une maison d’arrêt. © Ludovic/Réa

Justice

Des États généraux confrontés à une crise du sens de la peine

Charles Perragin publié le 19 octobre 2021 4 min

Manque de magistrats et de greffiers, lenteur des tribunaux, justice de classe, justice opaque, voire partiale… L’institution judiciaire française accumule tous les griefs. Si bien qu’à six mois de la fin de son mandat, l’exécutif lance des États généraux de la justice à Poitiers : soit une grande consultation de cinq mois avec tous les acteurs de la chaîne pénale – des policiers aux magistrats – dans le but d’améliorer l’institution judiciaire. Sur le fond, certains fustigent une justice laxiste, alors que d’autres critiquent une augmentation historique du budget de la Justice qui ne servirait qu’à construire des places de prisons sans traiter les maux à la racine. 

C’est la fonction même de l’appareil judiciaire qui est au cœur des débats, tiraillé entre la volonté de punir et la nécessité de réhabiliter les victimes mais aussi les condamnés…

 

  • Dans les faits, la justice française est de plus en plus sévère. La proportion de personnes écrouées (en prison ou sous bracelet électronique) est de 124 pour 100 000 habitants aujourd’hui, contre 57 en 1982. Plus encore, la durée moyenne de détention s’est allongée de 25 % en quinze ans pour atteindre un peu plus de dix mois. Au sein de l’Union européenne, la France est le seul pays dont la population carcérale augmente pour atteindre près de 70 000 détenus (après une baisse franche mais brève pendant la pandémie suite à l’ordonnance du 25 mars 2020). D’où vient l’inflation carcérale ? Pour la sociologue Corinne Rostaing, elle correspond à une surenchère sécuritaire initiée dans les années 1990 : augmentations des plafonds d’emprisonnement en 1994, politique policière du chiffre souhaitée par Nicolas Sarkozy alors ministre de l’Intérieur (2002-2004, puis 2005-2007), les peines planchers (août 2007) ou encore la rétention de sûreté (février 2008), etc. Plus encore, les peines de prison touchent essentiellement les illégalismes populaires, des délits comme les infractions à la législation sur les stupéfiants ou les vols. En France, plus de 70 % des détenus sont des délinquants, c’est-à-dire qu’ils sont condamnés pour des délits et non des crimes. 
  • Le monde carcéral concentre ainsi une population déjà très fragilisée cumulant des problèmes psychiatriques, d’addiction (50 %), une faible éducation (75 % a arrêté l’école avant 18 ans), une faible insertion sur le marché du travail (50 % travaille le plus souvent pour un emploi non qualifié), des problèmes de logement (11 % de SDF). Or, malgré des peines d’emprisonnement plus longues et plus systématiques, le taux de récidive reste élevé : 59 %. En cause ? La surpopulation, des surveillants et travailleurs sociaux en sous-effectif, l’absence d’activités, un encellulement 22 heures sur 24. Tout cela amène Corinne Rostaing, dans son livre Une institution dégradante, la prison (Gallimard, 2021), à conclure que la prison est devenue la « voiture-balai de l’exclusion », qui n’a souvent pas les moyens de faire un suivi social en détention et passe son temps à poursuivre les plus miséreux. 
  • Pourtant, comme le rappelle l’article 707 du Code de procédure pénale, la réinsertion et la prévention de la récidive constituent la légitimité de la peine en général et de l’institution carcérale en particulier. Nos textes de loi prêtent en réalité à l’appareil judiciaire un rôle de réhabilitation sociale des parties qu’elle a du mal à remplir, réduisant souvent la peine à sa dimension punitive, cette part que Paul Ricœur associe à l’acte de juger entendu dans sa finalité courte – trancher, indemniser, assurer la sécurité et venger : « Les opérations les plus civilisées de la justice, en particulier dans la sphère pénale, gardent encore la marque visible de cette violence originelle qu’est la vengeance », écrit-il dans Le Juste (1995). Mais, pour Ricœur, l’acte de juger doit intégrer également une finalité plus longue : la « paix sociale » ou réinsertion, en droit. Au-delà du règlement du litige obéissant à l’impératif sécuritaire, à la volonté de punir, à la nécessité de reconnaître les uns comme coupables et les autres comme victimes, doit s’ouvrir la possibilité d’un cheminement vers un horizon où les parties doivent, finalement, sortir des assignations judiciaires, de leur statut de condamnés ou de victimes, pour reprendre une place propre dans la société. « La finalité de la paix sociale fait apparaître en filigrane quelque chose de plus profond qui touche à la reconnaissance mutuelle ; ne disons pas réconciliation ; parlons encore moins d’amour et de pardon, qui ne sont plus des grandeurs juridiques, parlons plutôt de reconnaissance », poursuit Paul Ricœur. 
  • Ainsi, Paul Ricœur fonde-t-il un droit à la reconnaissance. Cette réhabilitation réside dans la possibilité de se défaire d’une identité pétrie dans l’acte du juge qui punit et prolongée dans l’institution carcérale qui brise les individus sans les transformer. Ce droit suppose que la justice remplisse plus pleinement sa fonction de régulateur social, tout comme, dans le passé, l’asile est devenu l’hôpital psychiatrique, passant d’une logique d’enfermement à une logique de soin. Pour la justice, son pouvoir de réhabilitation réside dans la promotion des peines alternatives à l’enfermement (qui existent dans notre droit) et dans le développement du suivi social en détention. Telles sont les conditions de ce que les chercheurs en criminologie appellent la « désistance », un ensemble de facteurs propices à la sortie d’un parcours délinquant : trouver un emploi, être entouré, déménager, se sevrer, etc. In fine, le pari d’une justice qui réhabilite sans seulement punir est que son coût serait compensé par la baisse de la récidive sur le plus long terme, engendrant une chute du nombre de procès et un décroissement de la population carcérale. À l’inverse, les faits montrent que plus il y a de prisons, plus la proportion de la population incarcérée augmente. 

La justice comme régulateur social n’est pas une utopie. De nombreux dispositifs, moins connus, existent déjà. En 2018, nous enquêtions sur la justice restaurative, une pratique qui vise précisément à réhabiliter les victimes et les condamnés au-delà du procès.

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