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Paris, le 21 octobre 2020. Dans la cour de l’université de la Sorbonne, lors d’un hommage national au professeur d’histoire-géographie Samuel Paty. © Francois Mori/Pool/AFP

Témoignage

Des enseignants inquiets avant l’hommage à Samuel Paty

publié le 17 octobre 2022 7 min

La journée de commémoration en l’honneur de Samuel Paty se déroule aujourd’hui dans de nombreux lycées, dans un contexte de regain de tensions autour de la laïcité. Une enseignante en philosophie témoigne de son ressenti et d’une forme d’inquiétude.

 

Le 16 octobre 2020, Samuel Paty était assassiné aux abords de son lycée par un terroriste islamiste qui lui reprochait d’avoir montré des caricatures de Mahomet en cours. L’anniversaire de sa mort a été l’an dernier l’occasion d’hommages multiples… et souvent cafouilleux, comme nous l’explique une jeune enseignante en philosophie en lycée dans les Yvelines. À l’heure où une hausse des atteintes à la laïcité est constatée, elle nous fait part des inquiétudes des professeurs avant l’hommage d’aujourd’hui, et essaie de comprendre le phénomène de rigorisme identitaire qui touche de nombreux élèves.

 

« Les professeurs sont nombreux à appréhender la journée de commémoration en hommage à Samuel Paty. Lorsqu’il a été assassiné, je me souviens très bien que c’était un vendredi. Des éléments ont très rapidement fuité concernant le motif terroriste du meurtre, et le ministère a mis un certain temps à réagir. Tant et si bien que le lendemain de l’événement, le samedi matin, j’ai dû aller faire cours. Je ne pouvais rien dire aux élèves, aucune communication n’avait été faite.

À mon sens, le malaise vis-à-vis de cette journée de commémoration vient en partie d’une ambiguïté de la réaction institutionnelle, qui a empêché de produire un narratif unique sur cette affaire. La façon dont les événements se sont déroulés, un peu irréelle – un jeune Tchétchène sorti de nulle part qui a tué un enseignant parce qu’une élève a menti à son père qui est allé se plaindre, etc. – a empêché l’institution de faire face à ses propres manquements et de produire un récit cohérent sur la question de la laïcité et de l’islamisme. Elle avait d’abord désavoué Paty sur le caractère à la fois sensible et sexuel des caricatures qu’il avait montrées, et elle n’a pas fait son autocritique à ce sujet. Cela a amené à une sorte de synthèse un peu molle qui a vidé les commémorations de leur substance. L’an dernier, on nous a ainsi demandé d’insister sur la figure et la place du professeur dans l’école républicaine. C’est à mon sens un sujet totalement périphérique ; nos élèves savent très bien qu’on ne tue pas les professeurs, comme on ne tue pas les médecins ou qui que ce soit. Le fait de ne pas bien nommer les choses a rendu le véritable hommage impossible.

Par conséquent, les lycéens ont reçu ces événements avec beaucoup de relativisme et de détachement. Des élèves ont dit à l’une de mes collègues qu’ils considéraient qu’on avait vraiment là une affaire de profs, touchés dans leur corps de métier, sans voir le problème de société qui se tenait derrière. Comme s’il s’agissait d’un réflexe corporatiste, à l’instar de cheminots qui feraient grève pour préserver leurs acquis sociaux, en oubliant la dimension absolument massive et tragique de l’assassinat à caractère terroriste.

Cette année, les mots d’ordre ne sont encore une fois pas clairs ; il n’y a pas de réel cadrage national, tout est laissé à l’appréciation des professeurs ou des chefs d’établissement, et se conjugue même au conditionnel sur le site du ministère (“les professeurs souhaitant conduire cet hommage avec leurs élèves”, y lit-on d’ailleurs). L’hommage n’est pas prévu de façon systématique, même si des proviseurs peuvent essayer d’organiser des choses de cet ordre, de réunions en silence dans un hall ou de dépôt de gerbe de fleurs, comme on avait pu le voir pour les victimes d’attentats ou de la Seconde Guerre mondiale. Cette réalité d’enseignants parfois livrés à eux-mêmes nourrit aussi, à mon sens, cette appréhension. En ce qui me concerne, l’an dernier, j’étais très tourmentée et je me suis contentée d’une minute de silence en classe, sans avoir pu dire des choses intelligentes ou revenir dessus avec les élèves, ce qui m’a beaucoup frustrée. Mais c’était trop pour moi, seule face à trente adolescents.

Laïcité incomprise

À cette incompréhension générale vient s’ajouter une forme de défiance des élèves, qui sont très attachés au principe qu’il ne faut pas offenser les croyances. Ce problème est saillant, dans l’actualité récente, avec des menaces de mort réitérées contre des professeurs ayant évoqué les caricatures, dans l’Essonne ou le Haut-Rhin. Cette question de la prégnance du religieux au sein des lycées, je la ressentais dans les autres établissements dans lesquels j’ai enseigné, mais c’est réellement cette année que cela me frappe. Je dois par exemple systématiquement dire à des filles d’enlever les capuches de leurs sweats qu’elles mettent en permanence sur la tête, comme pour avoir un voile de substitution. Je remarque aussi qu’il y en a beaucoup qui viennent en abaya, surtout durant le ramadan. Le vêtement a toujours été un élément fort de revendication identitaire chez les adolescents, ce n’est pas nouveau.

Mais ce qui est frappant, c’est l’incompréhension vis-à-vis de la laïcité, vécue comme une contrainte inutile davantage que comme une condition de possibilité de l’institution. Cette année, j’ai voulu tâter le terrain avec mes classes technologiques en commençant mon cours par les notions de raison et de religion. Grâce à cela, j’entrevois à quel point la religion est une composante absolument fondamentale de ce que sont les élèves et que c’est tellement important pour eux qu’ils ont le sentiment, avec la laïcité, de devoir comme s’amputer d’une part d’eux-mêmes. Ils ne comprennent pas non plus que je ne peux pas leur dire ma propre religion, quand ils me le demandent, le fait qu’il y ait une astreinte des fonctionnaires à la neutralité religieuse. Cela leur manque, on dirait qu’ils ont besoin de le savoir pour savoir qui je suis.

En plus, du fait de l’accès qu’ils ont à internet et aux réseaux sociaux, ils ont à présent davantage conscience qu’avant du caractère exceptionnel de l’école française, ils savent que dans de nombreux autres pays l’école est publique mais laisse la possibilité aux élèves de venir en tenues religieuses. Beaucoup se sentent rattachés à des communautés confessionnelles planétaires, ce qui peut faire s’interroger par exemple une adolescente constatant que les jeunes Britanniques musulmanes peuvent, elles, venir voilées au lycée public. La plupart des élèves n’ont pas une hostilité de fait ou un agenda politique ; ils expriment des opinions spontanées. C’est quelque chose que la matière d’enseignement moral et civique (EMC), que j’assure cette année, m’a aussi permis de mieux percevoir.

Un élément très important dans ce phénomène, à mon avis, c’est que dans les démocraties libérales, le mot d’ordre est un peu devenu, à la McDonald’s, “venez comme vous êtes”. Or aujourd’hui, il y a une plus grande tolérance vis-à-vis des cheveux bleus, des crop-tops ou d’autres phénomènes de mode, mais en parallèle une crispation sur les signes religieux. Pour le coup, l’on peut éventuellement voir une sorte de contradiction entre les principes de la démocratie libérale et ceux de l’idéal républicain. Et l’agenda rigoriste a beau jeu de voir dans le libéralisme une aubaine pour faire valoir qu’un mode de vie traditionaliste est aussi valable qu’un autre : chacun sa vie, ses choix, ses valeurs.

Que peut la philosophie ?

Tout ceci étant posé, est-ce que la matière que j’enseigne, la philosophie, qui repose en grande partie sur une distinction fondamentale entre la croyance et le savoir, peut aider ? Il me semble qu’elle aide en tout cas certains de mes élèves. Il y a toujours eu énormément de confusion entre l’épistémé [science] et la doxa [opinion], ce qui rend le travail socratique encore et toujours actuel. La nouveauté, c’est que beaucoup de jeunes sont imprégnés de discours qui entretiennent la confusion entre les deux. La réticence à certains enseignements part aussi de là : pour eux, la science peut prouver des enseignements religieux ; la religion n’est pas seulement un objet de foi mais aussi de savoir.

Certains comprennent que la science et la religion ne traitent pas des mêmes objets, que, comme le dit Galilée, la religion nous explique comment aller au ciel mais pas ce qu’est le ciel. Ils comprennent aussi mieux ce que peut la religion et ce qu’elle ne peut pas, que par exemple, pour construire un avion, il ne suffit pas d’être très croyant, qu’on va se servir de ses études d’ingénieur et non pas de sa connaissance du Coran ou de la Bible. Mais ce que tout cela dit, c’est aussi le manque de culture philosophique, scientifique, et l’accès certes à de la théologie, mais à de la théologie incomplète, voire douteuse, rencontrée sur internet : j’ai quand même eu des premières interventions créationnistes en cours et des discussions houleuses sur Darwin.

Après, mes élèves restent des adolescents qui aiment discuter des grandes questions de la vie, et la matière a a priori tout pour les intéresser. Quand je leur dis que je suis là pour les faire réfléchir et non pour balayer leurs croyances, ils ne le reçoivent pas de manière hostile. Mais le fait est que la distinction entre savoir et croyance a du mal à passer, et qu’il faudrait aller beaucoup plus loin pour défaire la confusion à la racine. »

 

Ce témoignage a été anonymisé à la demande de l’intéressée. Les propos ont été recueillis par Samuel Lacroix.

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