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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Paris, le 12 mars 2024. En préambule d’un débat, le Premier ministre Gabriel Attal fait une déclaration sur la situation en Ukraine, à l’Assemblée nationale. © Thomas Samson/AFP

Reportage

Débat sur l’Ukraine à l’Assemblée, entre simulacre et cercle vicieux

Michel Eltchaninoff publié le 14 mars 2024 6 min

Mardi 12 mars s’est tenu à l’Assemblée nationale à Paris un débat exceptionnel sur l’accord de sécurité signé le 16 février par le président français Emmanuel Macron et son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky. Michel Eltchaninoff a assisté à ces échanges, les uns accusant leurs adversaires de complaisance envers la Russie, les autres dénonçant une instrumentalisation électoraliste de la part de l’exécutif. Une discussion qui s’est muée en cercle vicieux national, en-deçà de l’importance de l’enjeu. 


 

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Un vieux routier de la tribune de presse avait averti ses jeunes collègues en cet après-midi du 12 mars 2024 : « Si vous attendez du spectacle, vous serez déçus. Il n’y a pas de suspense. » Les intentions de vote (non contraignant) de chaque groupe parlementaire sur « l’accord bilatéral de sécurité » signé entre les présidents français et ukrainien avait en effet déjà été dévoilées ou étaient prévisibles. Les communistes et les Insoumis avaient décidé de votre contre, le Rassemblement national de s’abstenir. Soutenu par les macronistes et leurs alliés de circonstance – Républicains, socialistes et écologistes –, le texte serait donc approuvé dans la soirée par une large majorité de députés. 

 

Invectives et applaudissements

Restait donc à écouter les arguments des uns et des autres, et à assister à d’éventuelles polémiques entre ce bloc majoritaire et les deux extrémités de l’hémicycle. Celles-ci n’ont pas manqué. Les interventions de Gabriel Attal, Marine Le Pen ou du communiste Fabien Roussel ont donné lieu à de bruyantes protestations, à des adresses peu amènes et à des bravos frénétiques de leurs partisans – « Vous parlez russe ? », « Travaillez vos sujets », « Rendez-nous Aurore [Bergé] » à l’adresse du président du groupe Renaissance Sylvain Maillard… 

Mais l’enjeu de l’aide à l’Ukraine, en difficulté face à l’armée russe, et la présence de l’ambassadeur d’Ukraine en France ont également donné lieu à des applaudissements unanimes pour saluer la résistance du peuple ukrainien face ou pour rendre hommage à Alexeï Navalny, l’opposant russe mort en détention il y moins d’un mois. L’atmosphère, un peu surréaliste, balançait entre la légèreté du jeu de rôles bourbonnesque et la prise en compte de la gravité du moment. 

Chaque orateur a joué sa partition. Le Premier ministre Gabriel Attal, premier à prendre la parole, a rappelé l’incontestable responsabilité russe dans le déclenchement de cette guerre. Sa voix s’est un instant étranglée lorsqu’il a évoqué les victimes civiles, notamment les enfants tout récemment tués à Odessa. Il a ensuite défendu la politique du président français, sa volonté de construire une « Europe-puissance », son soutien inébranlable à l’Ukraine envahie, tout en « faisant tout pour éviter l’escalade » avec la Russie. 

Gabriel Attal a rappelé qu’une victoire russe initierait “la fin d’un ordre international fondé sur le droit”


 

Responsable de la politique intérieure, le Premier ministre a argumenté pour faire comprendre le prix que les citoyens auraient à payer en cas de victoire russe en Ukraine. Elle initierait non seulement « la fin d’un ordre international fondé sur le droit », « de nouveaux conflits », mais aussi une nouvelle vague migratoire, un « danger direct sur notre sécurité alimentaire », une « panne énergétique généralisée ». Comme les autres intervenants, Gabriel Attal a relié un enjeu qui peut paraître lointain aux préoccupations sociales des Français. Mais lorsqu’il a affirmé que ce débat ne devait pas faire « de place à l’instrumentation » politique, ses opposants ont ostensiblement éclaté de rire. 

 

Joutes politiques

Car c’est là que le bât blesse. Avec un débat parlementaire sans vote, après un accord déjà signé, cette journée qui aurait pu être consensuelle s’est rapidement transformée en joute politique. Alors que Gabriel Attal lance un « Slava Ukrainy » [« Gloire à l’Ukraine »] en guise de conclusion, les divisions nationales étaient déjà réapparues. Les orateurs suivants – issus du Parti socialiste, du groupe Horizon, des « verts », notamment – ont manifesté leur soutien à l’accord tout en marquant leurs nuances. « Le projet écologique est le seul projet de paix », a par exemple clamé la présidente du groupe écologiste Cyrielle Chatelain dans une indifférence polie. Fabien Roussel, adversaire de l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan et à l’UE, s’est placé sous le signe du pacifisme : « Voulons-nous la destruction de notre civilisation » si nous affrontions la Russie ? « Ne tuez pas une deuxième fois Jaurès », a-t-il déclaré sous les huées. 

Marine Le Pen, elle a adopté une position plus habile. Dans un parfait silence, après avoir été acclamée par son groupe, elle a salué « la résistance héroïque du peuple ukrainien ». Mais celle qui avait rendu visite à Vladimir Poutine entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2017, et qui s’aligne depuis longtemps sur ses positions, a adopté un autre angle pour critiquer l’accord entre la France et l’Ukraine. Fidèle à ses déclarations passées, elle a dénoncé des sanctions économiques inefficaces. 

Considérant l’accord militaire franco-ukrainien “pas nécessaire et pas proportionné”, Marine Le Pen a fait mine d’adopter une attitude modérée en prônant l’abstention du RN

 

Elle a surtout marqué sa priorité : nos « devoirs envers le peuple français », fustigeant les propos récents d’Emmanuel Macron qui n’excluait pas l’envoi de troupes françaises en Ukraine. Opposant son « réalisme » à la « basse politique politicienne » des macronistes, soupçonnés de se servir de ce vote pour renvoyer le RN dans le camp des partisans de Poutine, elle a plaidé pour des négociations entre l’Ukraine et la Russie. Considérant l’accord militaire franco-ukrainien « pas nécessaire et pas proportionné », elle a fait mine d’adopter une attitude modérée en prônant l’abstention du RN. 

Deux heures après le début du débat, le député MoDem et président de la commission des affaires étrangères Jean-Louis Bourlanges a prononcé des mots rudes. Dénonçant les « trotte-menu du renoncement » et les tenants du « national-pacifisme », il a considéré qu’à la guerre, « il n’y a qu’un juge des comptes : la victoire », appelant à aider par tous les moyens l’Ukraine à gagner contre la Russie. Mais sur les bans du RN comme des communistes, on ne protestait même pas. On faisait mine de ne pas l’écouter. 

 

« Ce débat est un simulacre ! »

Que penser de l’irruption du thème de la guerre dans une assemblée divisée, obsédée par les échéances électorales à venir ? Aucun orateur n’a nié la culpabilité de la Russie ni la nécessité du soutien à l’Ukraine. Mais cette longue séance a tout de même ressemblé à un jeu de dupes. Le camp macroniste a certes insisté sur la solennité du moment : les démocraties, française et européennes, sont-elles prêtes à comprendre que la guerre, si elle n’était pas gagnée par l’Ukraine, continuerait ailleurs ? Et donc que si la société française ne se mobilisait pas davantage, le pire était à craindre, même à l’extrémité occidentale du continent ? 

Mais en proposant à un vote non contraignant et en convoquant ce débat le lendemain de sa déclaration sur la possibilité d’un envoi de troupes françaises en Ukraine, Emmanuel Macron a tendu une perche à ses oppositions. Elles s’en sont pleinement saisies en mettant en doute la sincérité de l’exécutif et en y voyant une manœuvre pour polariser le débat des élections européennes autour du soutien du RN à la Russie de Vladimir Poutine. « Ce débat est un simulacre ! » s’est ainsi exclamé le député insoumis et membre de la commission des affaires étrangères Arnaud Le Gall. 

 

Et si l’on avait écouté Kant ?

Peut-être aurait-il fallu, au moins pour examiner l’accord militaire bilatéral, que l’exécutif prenne le risque de le soumettre à un vote contraignant – qu’il aurait d’ailleurs certainement remporté. Cela aurait été de bonne politique pour associer davantage les citoyens au soutien français à l’Ukraine. 

“Si l’exécutif avait voulu provoquer un sursaut civique dans l’aide à l’Ukraine, engager la représentation nationale n’aurait peut-être été pas vain”

 

C’est ce que préconise Emmanuel Kant dans son essai Vers la Paix perpétuelle (1795). Il souligne que dans une constitution républicaine, « l’accord des citoyens est requis pour décider “s’il faut faire la guerre ou non” ». Demander l’accord des citoyens est un risque que souligne le philosophe, car « les citoyens y réfléchiront à deux fois avant de se lancer dans un jeu si dangereux ». Mais si l’exécutif avait voulu provoquer un sursaut civique dans l’aide à l’Ukraine, engager la représentation nationale et la mettre face à la responsabilité d’un vote contraignant n’aurait peut-être été pas vain. 

Or cette journée de débats a permis à chaque député de rester dans son couloir politique. Chacun a joué sa partition. L’exécutif a proposé une voie résolue – mais il est impopulaire. Le RN a prétendu au réalisme et à la modération, sans jamais s’expliquer sur sa proximité avec le Kremlin. LFI a vanté le non-alignement de la France sans expliquer les conséquences, pour l’Ukraine et l’Europe, d’une victoire russe. Les communistes sont restés fidèles à un pacifisme qui fait le jeu de Moscou. Or, pour espérer créer un sursaut des consciences face à la menace russe, ce pas de côté aurait été indispensable, au moins pour déranger la dramaturgie politique française. Cela n’a pas été le cas. L’ambassadeur d’Ukraine en France a entendu certains parlementaires appeler à soutenir l’Ukraine tout en refusant de l’aider à gagner. Il a assisté à un spectacle républicain bien rodé, et au fond aveugle à l’ampleur de la tragédie vécue par les Ukrainiens. 

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